21.5.06

Vu de l'Intérieur, la France n'a pas besoin de l'Afrique

Alors que le ministre de l'Intérieur français se déplaçait au Mali récemment, il aurait tenu les propos suivants, selon Afribone.com :
Le deuxième intervenant, une journaliste Sadio Kanté axera son intervention sur le pillage systématique des ressources économiques africaines par la France pour asseoir ainsi son économie. Elle cite des ressources comme le café et l’uranium. La réponse de Sarkozy ne s’est pas fait attendre, soutenant que l’Afrique ne représente que 2% du flux économique de la France. "La France économiquement n’a pas besoin de l’Afrique", a déclaré le ministre français de l’Intérieur.

Arrêtons nous un instant sur cette phrase :
La France, économiquement, n'a pas besoin de l'Afrique.

On trouvera ici des informations sur la balance commerciale de la France avec le Bénin et le Mali.

Ce document (source : douanes françaises) indique également que la France échange peu en volume avec l'Afrique :

- Importations depuis l'Afrique : 12% de 38,4% soit 4,6% du montant global ;
- Exportations vers l'Afrique : 17% de 34,7% soit 5,9% du montant global.

Le ministre de l'Intérieur semble donc avoir raison sur ce point, l'Afrique compte peu dans la balance commerciale de la France... Les échanges commerciaux se font préférentiellement avec l'Union Europénne ; aucun pays africain n'est pami les 20 premiers fournisseurs de la France ; seule l'Algérie compte parmi les 20 premiers clients de la France.

Est-ce pour autant le seul critère à prendre en compte ? Bien évidemment, non. Et balayer d'une seule phrase la remarque de l'intervenant est trop rapide.

Car il faut se demander quels sont ces produits que la France importe depuis l'Afrique. Il faut également se demander si les échanges de biens sont un bon indicateur de l'importance des échanges entre l'Afrique et la France.

L'intervention de M. Kanté portait sur l'uranium. La France est en effet un grand consommateur de ce minerai, puisqu'elle est le pays le plus nucléarisé du monde, si l'on considère la proportion d'électricité d'origine nucléaire dans sa production totale d'électricité. Or l'uranium français provient du Canada et du Niger, principalement.

Ne pouvant trouver la part de l'uranium africain composant les importations françaises, il est difficile de faire la part des choses. Mais Areva NC est présent au Niger, sur le site d'Arlit, dont ont été extraits 80000 tonnes d'uranium depuis les débuts de l'extraction. Cet uranium fournit sans doute principalement les centrales françaises. Dans les années 80, 40 % de la production mondiale en provenait et l'uranium représentait 90 % du montant des exportations du Niger (source Wiki).

D'autre part, les réserves mondiales prouvées d'uranium (c'est à dire les ressources récupérables à moins de 80$/kg U) atteignent un total mondial de 2516 milliers de tonnes, hors Chili et Chine (AIEA/OCDE 2001). Les plus importantes ressources se trouvent en Australie (26%), au Kazakhstan (17%), au Canada (12%), en Afrique du Sud (9%), au Brésil (6,4%), en Namibie (5,7%), en Russie (5,5%), aux États-Unis (4,1%), en Ouzbekistan (3,6%), en Mongolie (2,4%), en Ukraine (1,7%), au Niger (1,2%) et en Algérie (1%). Si on ajoute que la France possède moins de 0,5% des réserves d'uranium, on relativise l'importance stratégique du continent africain pour la France.

On pourrait également parler de pétrole ou de gaz naturel.

Concernant le gaz naturel, la situation en 2001 était la suivante : 454 TWh importés, dont 135,8 TWH en provenance de Norvège et 114 TWh depuis la Russie. L'Algérie quant à elle est le 3ème fournisseur (en 2001) avec 113,4 TWh, soit un quart des importations !

Concernant le pétrole, en 2001, les principaux fournisseurs étaient la Norvège (19,5 Mt), l'Arabie Saoudite et le Royaume Uni (11,4 Mt chacun). Le Nigeria, l'Algérie et l'Angola fournissaient quant à eux 5,6 Mt, 4,3 Mt et 3,7 Mt, soient 13,6 Mt sur un total de 86,7 Mt importées (15,7 % du volume total). Là encore, l'intérêt stratégique de l'Afrique semble donc important.

Ainsi, quand le ministre de l'intérieur français se base sur des chiffres de balance commerciale, il omet la dimension stratégique des importations de matières premières, et notamment de ressources énergétiques, dont l'Afrique fournit à la France une part non négligeable.

Ce billet devrait se poursuivre par des réflexions sur l'apport de l'Afrique à la France dans d'autres domaines.