7.2.08

Exception d'irrecevabilité : demande de référendum pour ratifier le traité de Lisbonne

Malgré l'heure tardive d'une séance de nuit, l'opposition fait son travail.

Démonstration avec la demande d'un référendum sur le traité de Lisbonne par le député Vert François de Rugy :

M. François de Rugy – Lundi dernier, le Parlement réuni en Congrès a voté la révision constitutionnelle permettant la ratification du traité de Lisbonne. La presse s'est fait l'écho de ce vote, déplorant une Europe sans gloire, un débat absent et sans passion. Nous sommes malheureusement nombreux à partager ce triste constat.

La réunion du Congrès n’était que le premier épisode du passage en force sur le nouveau traité européen, qualifié à tort de traité simplifié. Le deuxième épisode a lieu ce soir. Il n'est pas anodin que le Gouvernement ait choisi d'inscrire ce texte à une séance de nuit alors qu'il aurait dû être examiné au grand jour. Le Président de la République et le Gouvernement font tout pour escamoter le débat, sans doute dans l’espoir que les Français oublient leur « non » au référendum.

Il peut certes paraître paradoxal de défendre cette exception d’irrecevabilité quelques jours après la modification de la Constitution, mais, outre que les députés de l’opposition sont obligés d’utiliser toutes les ressources de la procédure parlementaire pour faire exister le débat, …

M. François de Rugy – …ce paradoxe n’est rien à côté du fait de faire passer à la va-vite un texte qui ressemble autant au traité constitutionnel déjà rejeté par les Français. Un tel procédé n’est pas correct en démocratie. J’avais moi-même fait campagne pour le oui, mais je ne suis pas amnésique et le résultat de 2005 a été acquis à une majorité suffisamment large pour être incontestable.

Au Congrès, M. Copé a affirmé que le non de 2005 était pour partie motivé par des raisons qui n’avaient rien à voir avec la question posée, …

M. François de Rugy – …des raisons strictement politiciennes, parce qu’une partie de la gauche voulait faire du référendum une sanction du gouvernement de l‘époque. Ce n’est pas très gentil pour M. Raffarin ni pour le président Chirac, qui avait eu l’amabilité de nommer M. Copé au gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. François de Rugy – Certes, le mécontentement des Français à l’égard du gouvernement était important, comme l’ont montré les élections régionales – vous devez vous en souvenir, puisque vous étiez candidat – et on avait en outre eu droit, juste avant le référendum, à la lamentable affaire du lundi de Pentecôte. À croire que vous aviez fait exprès ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Par ailleurs, le président Chirac n’avait sans doute pas le talent du président Mitterrand pour expliquer les enjeux aux Français, comme lors du débat télévisé de 1992 avec Philippe Séguin, l’un des principaux partisans du non, qui avait été un moment de basculement de la campagne.

Si le référendum de 2005 a un point commun avec celui de 1992, c’est l’intensité démocratique. C’est pourquoi je trouve l’argument de M. Copé quelque peu choquant : il laisse entendre que les Français se seraient laissé manipuler, qu’ils n’auraient pas été assez intelligents pour comprendre l’importance du traité. Je crois au contraire qu’ils ont répondu à la question posée, même si je continue de penser qu’il aurait été préférable pour l’Europe que le traité soit adopté. Mais lorsqu’on est démocrate, il faut savoir reconnaître un résultat électoral pour ce qu’il est, surtout avec un tel taux de participation et un intense débat préalable au vote.

M. François de Rugy – Certes, les arguments du non n'étaient peut-être pas tous recevables. Certains, comme celui du plan B, se sont même révélés faux.

M. François de Rugy – Mais personne ne peut dire que les Français n'ont pas voté en connaissance de cause, après avoir été éclairés par les nombreux débats.

Le résultat de 2005 ne doit pas être interprété comme un rejet définitif de tout progrès dans la construction européenne. Certains électeurs, qui tiennent la nation pour l’horizon indépassable de la politique, seront toujours opposés à toute structure supranationale, de même qu'ils l’étaient à l'abandon du franc : même si je suis à l'opposé de cette conception, je la respecte. Mais je suis convaincu que ce non était une façon de dire stop à des politiques européennes qui ne correspondent plus au projet initial. Certes, l’acquis de la paix n’est pas négligeable : issu d'une famille qui a été très éprouvée par la deuxième guerre mondiale, j’en mesure toute l’importance. Mais les nouvelles menaces sont tout aussi réelles, notamment celle du terrorisme. Or, à propos de nombreux conflits dans le monde, y compris aux portes de l'Europe comme en ex-Yougoslavie, les pays européens se sont divisés et ainsi condamnés à la paralysie.

Mais le projet européen ne s'est jamais limité à la paix et à la sécurité. Les pères fondateurs voulaient construire un espace de fraternité certes, mais aussi et surtout de prospérité et de progrès – en un mot de solidarité. Ce que les Français ont sanctionné en 2005 est que l'Union européenne soit en train de devenir une vaste zone de libre-échange, dépourvue de toute ambition politique, démocratique, écologique ou sociale. C’est la vision britannique qui est en train de triompher, la vision d'une Europe inexistante politiquement, et donc de fait alignée sur les États-Unis, avec la complicité maintenant du président Sarkozy. L’ultralibéralisme est en train de devenir un but en soi – je ne parle pas de l’économie de marché, qui a été acceptée par presque tous les courants politiques et que les Français ne souhaitent pas particulièrement remplacer.

Mais le peuple de France est plein de sagesse. Il voit bien que l’approche pragmatique de l'économie a basculé vers une approche purement idéologique. La concurrence peut certes être positive, mais quand elle est érigée en dogme, qu’elle s’exerce entre des entreprises qui ne travaillent pas dans les mêmes conditions, elle tire tout vers le bas. La logique du low cost se généralise. Qui peut reprocher aux Français d'avoir voulu mettre un coup d'arrêt à cette logique destructrice ? Certes, d’aucuns voudraient aller encore plus loin, comme M. Attali, mais je n'ai pas l'impression que ses positions suscitent un grand enthousiasme. Est-ce à dire que la France voudrait rester figée dans son conservatisme, derrière une nouvelle ligne Maginot ? Non. Les Français demandent tout simplement à maîtriser les évolutions, à obtenir des protections.

L'élargissement de l'Europe, par exemple, est tout à fait légitime. Personne ne le conteste comme perspective. Mais n’aurait-il pas fallu renforcer les institutions politiques avant, plutôt que de constater la paralysie après ? Négocier les transitions, une ouverture maîtrisée assurant une concurrence loyale, au lieu de mettre en concurrence les États entre eux en refusant toute harmonisation fiscale et sociale ? On peut se demander si les dirigeants de la Commission, le conservateur M. Barroso en tête, n'organisent pas sciemment la désindustrialisation de l'Europe en ouvrant à la concurrence mondiale le marché européen comme aucun autre marché au monde. Comment accepter les délocalisations face à des pays comme la Chine qui ne respectent aucune des règles démocratiques, écologiques et sociales qui sont au fondement de l'Union ? Sans parler de la politique monétaire soumise à l’obsession de l'inflation alors que la récession guette à cause du renchérissement du crédit. La réaction de la Réserve fédérale américaine, dans les mêmes circonstances, laisse comprendre que d'autres choix seraient possibles.

Le non de 2005 a autant été à l’origine d’une crise que le résultat d’une autre : celle de la construction européenne. Les partisans sincères, parfois passionnés, de cette construction politique, dont je fais partie… (Rires sur les bancs du groupe UMP) devraient avoir le courage de reconnaître qu’elle est profonde. Si nous défendons le référendum comme mode de ratification, ce n'est pas pour refaire le match de 2005, mais parce que le désamour entre les Français et les instances européennes risque encore de s'aggraver avec la procédure parlementaire. Les Verts de toute l'Europe plaident pour un référendum européen qui aurait lieu le même jour dans les vingt-sept pays de l'Union, afin que le débat dépasse le cadre national. Certes, plusieurs pays n’emploient pas cette procédure, mais pourquoi cette pratique française, mais aussi néerlandaise ou irlandaise, ne pourrait-elle être exportée ? Pourquoi la France ne pourrait-elle pas enrichir l’Europe de ses traditions, comme elle s’enrichit de certaines conceptions étrangères ? N’est-il pas temps d'innover pour renouer le lien qui s'est rompu ?

À défaut, les Verts soutiennent au moins le référendum national. Au nom d’un parallélisme des formes certes, et parce les parlementaires ne doivent pas usurper le droit d’expression des Français – je rappelle encore une fois que j’ai voté oui en 2005, comme la majorité de ma circonscription.

M. François de Rugy – En tout cas, j’aurai moins de mal que d’autres à me justifier auprès d’eux.

Puisque la majorité impose une procédure parlementaire, nous devrons, pour le vote de demain, peser le pour et le contre du traité de Lisbonne. Nous ne nous défausserons pas. Comme tous les traités européens, celui-ci est un compromis entre des visions et des intérêts différents. Il présente malheureusement quelques reculs par rapport au traité constitutionnel de 2005. On ne peut ainsi que regretter l'abandon des références au drapeau, à la devise et à l’hymne européens : le sentiment d'appartenance se nourrit aussi de symboles. Mais plus grave est le fait que la Charte des droits fondamentaux soit placée à part et que le Royaume-Uni ne l'applique pas. C'était la conséquence prévisible de la rupture du compromis de 2005. Il n'est pas bon signe que l'Europe fasse encore un pas vers la géométrie variable.

Ce texte conserve cependant certaines des avancées du traité constitutionnel européen visant à assurer un meilleur fonctionnement des institutions. Afin de sortir l’Europe de la paralysie et donc de l’impuissance, le nombre des décisions qui pourront être prises à la majorité qualifiée, et non plus à l’unanimité, a ainsi été étendu. Le texte va également dans le sens d’une Europe plus démocratique avec le renforcement du rôle du Parlement européen, seule instance européenne élue au suffrage universel direct, mais aussi des Parlements nationaux, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Il donne une meilleure visibilité et une plus grande stabilité politique à l’Union en instituant une présidence d’une durée de deux ans et demi en lieu et place des présidences tournantes actuelles de six mois. Tout dépendra certes des personnalités choisies pour occuper le poste de président et lorsqu’on entend évoquer le nom de Tony Blair comme candidat de compromis, il y a de quoi être inquiet pour la place de l’Union européenne sur la scène internationale…

Le traité de Lisbonne constitue un petit pas en avant par rapport à celui de Nice, s’agissant de l’action de l’Union : avec la création d’un Haut représentant à la politique extérieure, celle-ci parlera enfin d’une seule et même voix. Pour ne pas laisser passer l’occasion de faire faire à l’Europe ce petit pas, nous serons un certain nombre à voter oui à ce traité, sans enthousiasme. Mais puisque l’occasion nous est encore donnée ce soir de choisir la voie du référendum pour sa ratification, je souhaite saisir cette dernière chance en appelant nos collègues, au-delà des clivages politiques ou même de l’appréciation qu’ils portent sur ce traité, à voter la motion référendaire que va déposer le groupe socialiste et à laquelle, au nom des Verts, je me suis associé (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

Libellés :