14.1.08

Projet d'accord sur le contrat de travail : alerte !

La réforme du contrat de travail, promise de longue date par le candidat UMP et souhaitée depuis au moins aussi longtemps par le MEDEF a accouché d'un projet d'accord.

Selon le Journal du Dimanche du 11 janvier 2008, les points suivants seraient proposés :
1. Rupture conventionnelle des contrats
2. Périodes d'essais allongées
3. Création d'un contrat de projet
4. Maintien de certains droits antérieurs en cas de changement d'employeur
5. Augmentation de l'indemnité légale de licenciement
6. Prime pour les jeunes licenciés

Que penser de telles propositions ?

1. RUPTURE CONVENTIONNELLE DES CONTRATS

La mesure proposée :

La "rupture conventionnelle" est un nouveau mode de rupture des contrats (en plus de la démission et du licenciement) par lequel salarié et employeur pourront "convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie".
Elle ne remet pas en cause les modalités de rupture existantes du CDI ni les procédures de licenciements collectifs pour cause économique.
Elle garantit l'accès à une indemnité au moins égale à un cinquième de salaire mensuelle par année de présence dans l'entreprise (à partir d'un an d'ancienneté) et aux allocations de l'assurance chômage.
La rupture conventionnelle doit être homologuée par le directeur départemental du travail, dont le silence au bout de 15 jours vaut homologation. Cette décision pourra être contestée devant la justice administrative.

Commentaire :

On est là dans la rupture "par consentement mutuel" chère à Mme Parisot, présidente du MEDEF, qui voit le contrat de travail comme un contrat de mariage (on se souvient de son "la vie est précaire, pourquoi le travail ne le serait-il pas ?").
Elle repose sur la dénonciation (par le patronnat) de la "difficulté à licencier", qui empêcherait d'embaucher. C'est le même argument qui a valu lors de la création du CNE (Contrat Nouvelle Embauche) : il faut rendre le licenciement aisé pour lever les freins à l'embauche.
On ne peut pourtant pas comparer le contrat de travail au mariage. Dans un mariage, les deux époux sont sur un pied d'égalité. Dans le contrat de travail, il y a deux parties inégales. L'une se met à disposition de l'autre, dans le cadre de son contrat, pour réaliser ce qui lui sera demandé, avec comme contrepartie un salaire. Il y a ce qu'on appelle un lien de subordination : le salarié est subordonné à son employeur. Il lui doit le respect des consignes et des exigences, tant qu'elles sont fondées. C'est la loi, par le code du travail, qui encadre les relations entre employeurs et salariés.
AU fil des ans, la loi a protégé le salarié du licenciement abusif (CDT, article L-122-14 et suivants). Il faut aujourd'hui, pour licencier un salarié en CDI, que celui-ci soit à l'origine d'une faute grave. Sinon, il faut un motif valable et sérieux, qui doit être donné au salarié dont on se sépare. Autrement dit, le salarié est protégé de l'arbitraire. Il faut une bonne raison de licencier. Le motif économique est d'ailleurs suffisant, même s'il s'accompagne de contrôles pour en vérifier la réalité.
Pour licencier, si on a un motif valable et sérieux, demande une lettre recommandée avec accusé de réception et un entretien préalable. Cela ne prend donc pas vraiment de temps. Cela a t'il un coût ? Rien de plus que ce qui est fixé dans les textes : au minimum 1/10 de mois de salaire par année d'ancienneté. C'est à dire 2 jours de salaire par an dans l'entreprise ! Vous en rêvez pas. Cela ne coûte donc rien de mettre quelqu'un à la porte. Il y a quelques peties contraintes, notamment le préavis de 1 à 3 mois. Mais où sont les véritables contraintes ? Où est le coût ? Dans la tête des patrons, qui souhaitent se séparer de leur salarié comme ils veulent et quand ils le veulent.

C'est cela que le MEDEF veut aujourd'hui instaurer avec ce nouveau mode de licenciement : le salarié remerciable au besoin. Car s'il existe des cas où les salariés pourraient être d'accord pour partir "à l'amiable", il s'agira essentiellement de ceux qui auront déjà retrouvé un emploi et qui veut partir vite. Pour les autres, ceux qui ne veulent pas partir et qui n'ont rien fait pour être viré, ce mode de rupture ne changera rien. Ils en seront pas d'accord, il n'y aura pas rupture "à l'amiable".

Conclusion :
Une mesure idéologique qui ne résout pas le souci des employeurs qui voudraient pouvoir licencier comme ils le souhaitent. L'application de cette mesure pourrait également conduire à ce que les salariés signent dans leur contrat de travail des clauses de rupture qu'ils ne seront pas en position de refuser. Car les salariés ne sont pas en position de refuser. Ce que le MEDEF sait. Ce que le gouvernement Sarkozy acte.


2. PERIODES D'ESSAI

La mesure proposée :

Une période d'essai interprofessionnelle est instituée pour les CDI.
Sauf accord de branche conclu avant l'entrée en application du texte finalisé vendredi et prévoyant des durées supérieures, la durée des périodes d'essai est comprise:
-Entre un et deux mois maximum pour les ouvriers et les employés.
-Entre deux et trois mois maximum pour les agents de maîtrise et les techniciens.
-Entre trois et quatre mois maximum pour les cadres.

Ces périodes d'essai peuvent être renouvelées une fois par un accord de branche étendu qui fixe les conditions et les durées de renouvellement, sans que ces durées, renouvellement compris, ne puissent respectivement dépasser quatre, six et huit mois.

Commentaire :

Cette mesure vise à contourner le droit du travail. Comment ? En allongeant les durées des périodes d'essai, on allonge la possibilité qu'ont les employeurs de se séparer des salariés sans difficulté particulière. CEla est dû à la particularité de la période d'essai pour laquelle les règles de licenciement ne s'appliquent pas (article CDT L-122-4). UN employeur peut se séparer à son gré d'un salarié en période d'essai. Il n'a même pas à lui donner une raison et on lui recommande même de ne pas en donner pour ne pas prêter le flanc à une attaque de la part du salarié remercié.

Les périodes d'essai sont actuellement de 1 mois pour les moins qualifiés à 3 mois pour les plus qualifiés, renouvellable une seule fois. CEla signifie que pendant 6 mois, un employeur peut se séparer d'un cadre. Avec la nouvelle mouture, cela passerait à huit mois.
Mais la durée de la période d'esssai doit être proportionnée. L'organisation internationale du travail, à laquelle la FRance adhère, veille à ce que les périodes d'essai ne soient pas trop longues et que l'employeur donne un motif au salarié pour s'en séparer.

C'est ainsi que la période d'essai de 2 ans qui permettait de licencier sans justification a finalement été retoquée en juillet 2007 et déclarée non conforme à la convention 158 de l'OIT en novembre 2007. Depuis, silence radio sur ce contrat.

Conclusion :

Cette mesure, qui vise à pouvoir se séparer facilement des employés pendant des durées plus longues, pourrait passer sous les fourches de l'OIT. MAis le fond est le même : donner plus de latitude aux employeurs pour se séparer de salariés facilement.

3. CONTRAT DE PROJET

La mesure :

Un nouveau contrat, réservé aux ingénieurs et cadres, est institué à titre expérimental. Ce "CDD à terme incertain", d'une durée minimum de 18 mois et de 36 mois maximum, doit permettre la réalisation "de certains projets dont la durée est incertaine". Il prend fin lorsque ce projet est réalisé.
Le recours à ce contrat est subordonné à la conclusion d'un accord de branche étendu ou à défaut d'un accord d'entreprise.
Il "n'est possible que lorsque la durée envisagée pour la réalisation du projet pour lequel il est conclu est comprise entre 18 et 36 mois" et "ne peut être utilisé pour faire face à un accroissement temporaire d'activité".
A l'issue du contrat, son bénéficiaire qui ne serait pas repris dans l'entreprise bénéficie d'une indemnité spécifique de rupture égal à 10% de sa rémunération totale brute et des allocations de l'assurance chômage.

Commentaire :

Le CDD à terme incertain est un contrat effectivement très incertain. Il s'agit ni plus ni moins que d'un CDI de chantier, qui existe déjà, étendu aux cadres. Particularité de ce type de contrat : on ne sait pas quand il se termine. On sait juste qu'il durera quelques années. UN vrai contrat précaire, mais à durée indéterminée. Difficile de se projeter dans la vie avec un tel contrat. Ce n'est pas un CDD, dont le terme est connu. Ce n'est pas un CDI, dont on pense à tort qu'il est relativement protecteur.
A la fin d'un CDI de chantier, le contrat est terminé. Il faut alors en trouver un autre. Au même endroit ? Pas sûr. Aux mêmes conditions ? Pas sûr. Mais cela peut aussi être l'enchaînement des CDI de chantier pour la même entreprise.
On reporte avec ce type de contrat le risque de ne plus avoir de commandes sur les salariés. Merci, patron !
On fait également émerger le travailleur pseudo-indépendant, qui doit se vendre régulièrement sur des chantiers.

Conclusion :

Les personnes avec de tels contrats choisissent la mobilité et l'incertitude contre une expérience. Pour des jeunes, cela ne pose pas trop de difficultés, quoiqu'ils ont aussi le droit de s'installer durablement dans la vie. Mais avec un tel contrat, il est difficile de pse projeter. Quelle vie propose t'on à ces personnes ? De rejoindre le bataillon des précaires, plutôt cantonné aux bas salaires. De rejoindre le groupe des jeunes ingénieurs déjà ballotés de mission en mission dans le cadre de CDI avec des entreprises de services ? Beau programme. Un vrai choix de civilisation.


4. "PORTABILITE" DE DROITS DU SALARIE

La mesure :

En cas de rupture du contrat de travail non consécutive à une faute lourde et ouvrant droit à une prise en charge par le régime d'assurance chômage, le titulaire conservera le bénéfice des garanties des couvertures complémentaires santé et prévoyance appliquées dans leur ancienne entreprise pendant leur période de chômage pour une durée maximum égale à un tiers de la durée de leur droit à indemnisation, sans pouvoir être inférieur à trois mois.
Il pourra mobiliser le solde du nombre d'heures acquises au titre du droit individuel à la formation, "en priorité pendant leur prise en charge par le régime d'assurance chômage" et "en accord avec leur nouvel employeur, pendant les deux années suivant leur embauche".

Commentaires :

C'est LA mesure sociale censée faire avaler toutes les autres. Ce sont d'excellentes initiatives, qui devraient être dans notre droit du travail depuis longtemps. Il est en effet curieux qu'on perde la couverture complémentaire souvent obligatoire quand on est licencié. De même qu'il est impensable qu'on perde ses DIF patiemment accumulés. Ce sont donc de bonnes nouvelles. Mais pourquoi faut-il qu'elles soient proposées en contreparties de tant de reculs par ailleurs ?


5. INDEMNITE LEGALE DE LICENCIEMENT

La mesure :

L'indemnité légale de licenciement pour un CDI est doublée pour atteindre au minimum un cinquième de salaire mensuel par année d'ancienneté dans l'entreprise (à partir d'un an dans l'entreprise).

Commentaire :

Le doublement proposé revient à toucher 6 jours de salaire au lieu de 3, PAR ANNEE D'ANCIENNETE. Soit environ 200 € par année d'ancienneté pour un SMIC à temps plein.
Cette mesure a au moins l'avantage de mettre en lumière la faiblesse actuelle des contreparties financières au licenciement.

Bienheureux les CDD qui touchent 10% de leur salaire brut en fin de contrat ! Sauf que la plupart du temps cette indemnité est intégrée au salaire brut proposé pour la mission... On oublie souvent de le dire. POur des salariés au SMIC, l'effet de seuil l'empêche. Mais pour des salariés à 110% du SMIC, les 10% reviennent souvent à être payé au SMIC chaque mois en attendant les 10% lors de la prime...


6. PRIMES POUR LES JEUNES DEMANDEURS D'EMPLOI

La mesure :

Une prime forfaitaire est instituée pour les jeunes de moins de 25 ans "involontairement privés d'emploi" et ne remplissant pas les conditions de durée d'activité ouvrant l'accès aux allocations de l'assurance chômage. Les conditions d'accès et le montant de cette prime seront fixés dans le cadre des négociations sur l'assurance chômage qui s'ouvriront au cours du premier semestre.

Commentaire :

Encore une gorgée d'eau pour faire passer la pilule. Mais au nom de quoi ces jeunes licenciés devraient-ils toucher ce bonus ? Parce qu'ils n'ont pas le RMI, pardi. Les plus âgés peuvent eux rentrer dans d'autres dispositifs, s'ils sont licenciés.

Conclusion générale :

Une petite avancée pour de grands reculs. Il fait de moins en moins bon être salarié... Mais c'est peut-être justement le but recherché par leMEDEF et le gouvernement : obliger les gens à être indépendants, pour externaliser les risques des entreprises sur du personnel non salarié.

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