10.1.08

Guigou parle bien mais termine par un point Godwin

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour dix minutes.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un nouveau projet de loi nous est présenté, à la suite de deux faits divers qui, on le comprend, ont fortement ému l'opinion : l’agression sexuelle dont a été victime le petit Enis, commise par un délinquant sexuel multirécidiviste, et le meurtre de deux infirmières de l'hôpital psychiatrique de Pau commis par un malade mental. Évitons ici la concurrence émotionnelle pour répondre aux deux seules questions qui vaillent : votre texte, madame la ministre, améliore-t-il l'efficacité de l'arsenal législatif ? Votre texte respecte-t-il l'État de droit et les valeurs dont la France se prévaut dans le monde ?

S’agissant de la rétention de sûreté, je rappelle que, chaque année, en France, on dénombre plusieurs milliers de viols sur mineurs et en moyenne quatre-vingts homicides.

Face à cette tragique réalité, j’espère que nous allons éliminer d'emblée les procès d'intention, que nous allons échapper aux accusations de laxisme sur ces crimes odieux dont sont victimes surtout des enfants et des femmes. En effet, je sais que sur ces bancs, à gauche comme à droite, tous les élus veulent que les délinquants sexuels ne récidivent pas une fois leur peine exécutée, et que ceux qui demeurent dangereux soient mis hors d'état de nuire.

Mais, faire croire à nos concitoyens que par l'empilage des lois, on va faire disparaître la délinquance et empêcher tout crime, c'est leur mentir. La seule vraie question sur la rétention de sûreté est donc celle-ci : votre texte apporte-t-il des réponses efficaces contre la récidive des délinquants sexuels, dans le respect des grands principes qui fondent notre État de droit ? Je ne le crois pas et voici pourquoi : l'arsenal législatif est très complet ; ce qui manque, ce sont les moyens nécessaires pour l'application des lois.

La première loi, celle du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, que j'ai eu l'honneur de présenter et de défendre ici même, a mis en place l'injonction de soins dès l’entrée en prison, le suivi socio-judiciaire après la fin de la peine, le fichier national automatisé des empreintes génétiques.

Depuis, d'autres lois ont été votées. La loi Perben II portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, en 2004, et la loi Clément relative au traitement de la récidive des infractions pénales, en 2005, ont durci les peines en matière de récidive, prévu d'appliquer le suivi socio-judiciaire sans limitation de durée, étendu le fichier judiciaire avec obligation de se présenter à la police et, comme M. Fenech l’a souligné tout à l’heure, élargi l'utilisation du bracelet électronique – le système fixe créé en 1997 ayant été complété par le placement sous surveillance électronique mobile. En dernier lieu, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs que vous avez vous-même présentée, madame la garde des sceaux, met en place les peines planchers et rend les soins obligatoires.

Pourquoi énumérer tous ces textes ? Pour montrer que le problème n'est pas celui de la carence du dispositif légal, mais celui de l'insuffisance des moyens pour appliquer les lois existantes. Regardons la situation. Pendant l'exécution de leur peine, combien de délinquants bénéficient des soins et des suivis prévus par les lois en vigueur ? On réduirait considérablement le risque de récidive si on suivait médicalement ces personnes dès le début de l’incarcération – sans parler de la prévention qui aurait pu être faite avant le passage à l’acte. Ce n'est pas le cas, car les médecins psychiatres ne sont pas assez nombreux, les différents plans de recrutement annoncés n'ayant jamais été mis en œuvre. Un exemple et un seul : le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen, où était détenu Francis Evrard, a fermé ses 12 lits par manque de psychiatres, en juillet 2005 !

M. Serge Blisko. C’est scandaleux !

Mme Élisabeth Guigou. Vous justifiez votre projet en disant que Francis Evrard a refusé d'être soigné. Mais le lui a-t-on proposé ? Dans quelles conditions ? Madame la garde des sceaux, nous exigeons des réponses précises à ces questions !

M. Jean Jacques Urvoas. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou. La misère de la psychiatrie en prison est d'autant plus alarmante que le nombre de détenus atteints de troubles mentaux a beaucoup augmenté – je ne rappellerai pas les chiffres que vous connaissez –, et que la surpopulation carcérale s’est aggravée : 12 000 détenus de plus que de places disponibles. Ces diverses raisons exigent que l'on se concentre sur les moyens, plutôt que sur le vote de nouvelles lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Alain Néri. Parfaitement !

Mme Élisabeth Guigou. Qu’en est-il à la sortie de prison ? À leur sortie, tous les délinquants sexuels devraient être soumis à un suivi socio-judiciaire au sens de la loi de 1998 si le jugement l'a décidé, ou à une mesure de surveillance judiciaire prévue par la loi de 2005. C'est loin d'être le cas !

Les 250 juges d’application des peines suivent 180 000 personnes : chaque magistrat s’occupe, en moyenne, de 750 dossiers ! Je vous laisse imaginer la qualité du suivi individuel !

M. Serge Blisko. C’est invraisemblable !

Mme Élisabeth Guigou. Comment se fait-il, madame la garde des sceaux, que Francis Evrard, libéré une troisième fois après 32 ans de prison et alors qu'il avait déjà récidivé deux fois, n'ait pu obtenir un rendez-vous avec le juge d’application des peines que sept semaines après sa libération ? Pourquoi n'a-t-il pas été soumis à la surveillance judiciaire ? Pourquoi Francis Evrard n'avait-il pas de bracelet électronique mobile alors que la loi le prévoyait ? Pourquoi n'a-t-on pas suivi ses déplacements ? Pourquoi ses changements de département n’ont alarmé personne ? Là aussi, je vous demande des réponses précises.

Plutôt que de surfer sur l'émotion, il eût été plus utile de présenter à l’Assemblée, un bilan de l'application des lois actuelles. En l'absence de moyens concrets nouveaux, les lois votées – ainsi que votre propre projet – continueront à être inutiles. Mais il y a pire que l’inefficacité due à l’absence de moyens que je viens de souligner : votre projet tourne le dos à des principes fondamentaux de notre État de droit.

Vous proposez d'instaurer une rétention de sûreté qui permettra, après l'exécution de la peine de prison, de prolonger, sans limitation de durée, sans crime nouveau, l'enfermement des personnes considérées comme d'une « particulière dangerosité » et « susceptibles de récidiver ». Je veux d'abord redire ici qu'enfermer quelqu'un en prison sur décision judiciaire, non pour un acte commis, mais parce qu'il est susceptible de commettre un acte de délinquance, bouleverse un principe fondamental de notre État de droit : une personne ne peut être condamnée sur une suspicion de dangerosité, sur une présomption de culpabilité future éventuelle, sur une dangerosité virtuelle, mais seulement sur un acte commis et prouvé par la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Vous tournez là le dos à un principe issu de la Révolution de 1789. Vous nous proposez une justice d'élimination s'appliquant aux citoyens non pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce qu'ils sont censés être ou devenir.

Par ailleurs, je suis convaincue que votre texte demeure inconstitutionnel. Prévoir à l'article 706-53-14, alinéa 4, qu'une rétention de sûreté peut être décidée par une commission, dans le cas où un jugement ayant prononcé un suivi socio-judiciaire est estimé insuffisant par cette commission, n'est pas constitutionnel. Une commission ne peut démentir un jugement, seule une décision de justice peut le faire.

Votre texte comble-t-il un vide juridique ? Vous l’affirmez ; je dis qu’il n'en est rien. Pour les malades mentaux dangereux, le code de la santé publique prévoit une procédure : l'hospitalisation d'office, prononcée par le préfet sur certificat médical. Elle permet déjà de traiter en hôpital psychiatrique des personnes qui refusent de se soigner et dont les troubles mentaux nécessitent des soins, qui compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Je cite le code de la santé publique.

Cette loi s'applique bien sûr aux détenus. On nous l’a confirmé à Fresnes lorsque nous sommes allés visiter cette prison : l’hospitalisation d’office fonctionne. Il s’agit d’une procédure administrative et médicale. Vous ne devez pas, madame la garde des sceaux, en faire une décision judiciaire.

Il est déjà assez scandaleux de voir en prison des malades mentaux et, parmi eux, des psychotiques avérés – Serge Blisko a cité les chiffes tout à l’heure.

M. le président. Merci de conclure, madame Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. N'aggravez pas cette funeste évolution. Votre rôle serait au contraire de l'enrayer, en obtenant de votre collègue de la santé un plan de recrutement réel de psychiatres, assorti d'une augmentation de leurs salaires. Votre rôle serait plutôt d’éviter d'aggraver encore la surpopulation carcérale.

Vous justifiez votre dispositif par des exemples étrangers. Mais aux Pays-Bas ou en Belgique, la « mise sous tutelle judiciaire » intervient en substitution à la peine. Quant au système allemand, il est beaucoup moins répressif que le nôtre. Tout cela pour dire que la récidive des délinquants sexuels serait évitée si les lois existantes étaient correctement appliquées, et vous ne nous donnez aucune garantie sur ce point. Un mot sur la déclaration d’irresponsabilité pénale…

M. le président. Il faut conclure maintenant.

Mme Élisabeth Guigou. J’en suis à dix minutes et onze secondes, monsieur le président.

M. le président. Justement, votre temps de parole est écoulé. Nous avons deux heures de discussion générale. Il fallait que votre groupe vous donne davantage.

Mme Élisabeth Guigou. Tout à l’heure vous avez fait preuve d’un peu de tolérance ; je vous demande d’agir de même à mon égard.

M. le président. C’est ce que je fais.

Mme Jacqueline Fraysse. Je veux bien prendre un peu moins de temps.

M. le président. Cela ne change rien, madame Fraysse.

Mme Élisabeth Guigou. En ce qui concerne la déclaration d’irresponsabilité pénale, je crois qu’il faut éviter la confusion entre la chambre de l’instruction et une juridiction de jugement. Dans votre texte, elles se ressemblent de manière frappante. Or c’est précisément le fait qu’elles soient distinctes qui garantit la présomption d’innocence.

Madame la garde des sceaux, au nom du marketing politique, vous nous présentez un texte dangereux parce qu’il bafoue certains principes fondamentaux, et parce qu'il ne garantit en rien l'efficacité des lois déjà votées par notre assemblée et qui, elles, sont conformes à l'État de droit. Malheureusement, votre loi va autoriser toutes les dérives, toutes les escalades, toutes les fuites en avant, comme le montrent d'ailleurs les amendements que vous avez suscités ou que le rapporteur a présentés.

Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, anciens magistrats, vous tournez le dos à Beccaria, nourri de la philosophie des Lumières, vous choisissez Lombroso et son « homme criminel ». Or, vous le savez, c'est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l'Allemagne nazie. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

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cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Godwin