Tests ADN pour les étrangers : des entorses au droit
Celles-ci se fondent pourtant sur des arguments assez peu mobilisteurs quand il s’agit de contrer des arguments populistes qui parlent aux tripes. Pourtant, des arguments objectifs de droit, parlant à la raison, peuvent être facilement opposés à ce texte mal ficelé.
AMENDEMENT N° 36
présenté par
M. Mariani, rapporteur
au nom de la commission des lois
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ARTICLE ADDITIONNELAPRÈS L’ARTICLE 5, insérer l’article suivant :
I. - L’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, par dérogation aux dispositions de l’article 16-11 du code civil, les agents diplomatiques ou consulaires peuvent, en cas de doute sérieux sur l’authenticité ou d’inexistence de l’acte d’état civil, proposer au demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois d’exercer, à ses frais, la faculté de solliciter la comparaison de ses empreintes génétiques aux fins de vérification d’une filiation biologique déclarée avec au moins l’un des deux parents.
« Les conditions de mise en œuvre de l’alinéa précédent, notamment les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à des identifications par empreintes génétiques, sont définies par décret en Conseil d’État. »
II. - Dans le premier alinéa de l’article 226-28 du code pénal, après les mots : « procédure judiciaire » sont insérés les mots : « ou de vérification d’un acte d’état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans le cadre des dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Comme le rappelait un récent rapport du sénateur Adrien Gouteyron, la fraude documentaire est devenue un phénomène endémique dans certaines régions du monde, pouvant atteindre entre 30 à 80 % des documents d’acte civil présentés dans certains pays d’Afrique. Dans ces conditions, les autorités diplomatiques et consulaires ont le plus grand mal à s’assurer de l’existence d’une filiation légalement établie, ce qui encourage la fraude dans le cadre du regroupement familial ou du rapprochement familial (réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire).
Afin que le doute portant sur ces actes d’état civil n’entraîne pas une rejet systématique des demandes, il est proposé de permettre au demandeur d’un visa la faculté de solliciter la comparaison, à ses frais, de ses empreintes génétiques ou de celles de son conjoint avec celles des enfants mineurs visés par la demande de regroupement familial.
Cette procédure, qui ne pourrait être mise en œuvre qu’à l’initiative d’un demandeur désireux de prouver sa bonne foi le plus rapidement possible, est utilisée par onze de nos partenaires européens.
2. Résumé des motifs et des proposition :
Les motifs présentés pour recourir aux tests ADN sont donc les suivants :
- fraude documentaire qualifiée d’ "endémique",
- risque de rejet de demandes légitimes,
- d’autres pays le pratiquent.
La proposition est formulée ainsi :
- il s’agit d’une dérogation au droit habituel,
- l’initiative des tests est du côté des autorités consulaires,
- le coût de la procédure reste à la charge du demandeur.
3. Commentaires :
L’objet de cet amendement semble donc partir d’une bonne intention. Il s’agit de faciliter la tâche des autorités consulaires et de permettre aux demandeurs légitimes d’éviter de subir les inconvénients d’une fraude massive : durée des procédures rallongée, rejet d’une demande fondée, etc.
Cependant, les motifs présentés ne tiennent pas longtemps à l’analyse.
3.a : Sur la fraude documentaire endémique :
Premièrement, la fraude documentaire, présentée comme endémique, concerneassez peu de personnes. En effet, l’amendement proposé vise le regroupement familial. Ce regroupement concerne, pour 2005, environ 23000 personnes, dont environ 14000 en provenance de l’Afrique. Les pays soupçonnés de fraude massive sont situés en Afrique, mais tous les pays africains ne sont pas concernés. Enfin, seuls 30 à 80 % des demandes seraient frauduleuses (d’après ce rapport), ce qui réduit encore le chiffre. Est-il bien nécessaire de modifier notre droit par une mesure aussi radicale qu’un test ADN pour quelques milliers de demandes par an ?
Deuxièmement, il faut bien constater que la fraude est détectée aujourd’hui. Les chiffres prouvent que les autorités consulaires savent séparer le bon grain de l’ivraie. Elles y passent beaucoup de temps, au détriment du service rendu, mais elles y parviennent. Il serait donc possible d’améliorer les moyens des autorités consulaires pour faire mieux ce qu’elles font déjà aujourd’hui. De même, aider les autorités locales à lutter contre la fraude et donc contre la corruption serait une bonne façon d’améliorer le service rendu. Il est d’ailleurs effrayant de constater que la France est sur le point de faire payer aux africains (puisque c’est eux qui sont visés) le manque de moyens du ministère des affaires étrangères !
Si on ajoute que le coût d’un tel moyen serait à la charge du demandeur, le recours au test ADN apparaît surtout comme un moyen peu coûteux de simplifier le travail des consulats.
Cependant, il faut noter que si aujourd’hui, il est possible de payer pour obtenir un certificat de naissance, il sera très certainement possible de payer pour obtenir un test ADN concluant... Le problème n’en sera donc que déplacé.
3.b : Sur le fond juridique
Cet amendement pose de trois difficultés.
Premièrement, en France, pour avoir recours aux tests ADN, il faut une excellente raison et un contrôle de la justice.
L’article 16-11 du Code civil stipule que : " L’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire [...].
En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. [...]"
La loi est claire : il faut un juge pour contrôler la procédure.
Avec cet amendement, plus de juge. Un membre d’un consulat pourra demander un test sur la base de son seul doute. L’étranger devra se soumettre à ce test pour établir sa bonne foi, sans pouvoir contester le bien-fondé du doute. Cette absence de tout contrôle est incroyable. On entre dans le domaine de l’arbitraire.
Deuxièmement, la charge de la preuve est inversée. Un membre d’un consulat a un doute : il n’a pas à faire de recherches pour prouver la fraude (ou lever le doute), il n’a plus qu’à exiger du demandeur qu’il prouve qu’il est bien qui il prétend être. Ce renversement n’est pas anecdotique : il remet en question un principe de notre droit : la présomption d’innocence. Dit autrement, tout étranger demandeur de regroupement familial est supposé fraudeur. Sympathique vision des étrangers...
Troisièmement, en France, le lien de filiation se fait par reconnaissance. Celui qui affirme à la naissance être le père le devient légalement (sauf pour les maris qui sont automatiquement le père des enfants de leur femme). Pas de test génétique pour cela : la déclaration fait foi. Ce droit permet de faire avec les vissicitudes de la vie humaine, qui ont pour conséquence que beaucoup d’enfants, reconnus comme tels et aimés comme tels, ne sont pas issus des gamètes de leur père. En France, le lien de filiation ne réside donc pas dans les gènes. Pourquoi devrait-il en être autrement à l’étranger ?
Certes, la loi est faite pour être changée, comme l’a dit le rapporteur du texte. Mais les principes qui guident la loi ne sauraient être ainsi retournés sans que cela soit longuement motivé.
3.c : Sur les autres aspects :
Tout d’abord, non content de créer des problèmes juridiques, le texte fait reposer le coût de la procédure sur le demandeur. Passons sur les problèmes techniques posés par la réalisation d’un tel test dans des pays du tiers-monde. De plus, le coût du test ira dans la poche des officines qui fourniront les tests ADN...
Ensuite, d’autres pays auraient déjà recours à ces tests. Soit. Mais cet argument est loin d’être suffisant. Peut-être serait-il bienvenu qu’on nous explique comment ces tests sont mis en oeuvre dans ces autres pays. Le coût est à la charge de qui ? Un juge contrôle t’il la procédure ?
D’autre part, si onze pays européens ont recours a à ce test, cela signifie aussi que quinze autres pays n’y ont pas recours : de l’art de choisir la bonne facette d’un argument....
4.Conclusion :
On voit à la lecture de cet amendement que les problèmes qu’il soulève sont plus nombreux que ceux qu’il prétend résoudre. Nul besoin de se draper dans la Déclaration des Droits de l’Homme ou d’invoquer le spectre de l’eugénisme pour dénoncer cet amendement.
On introduit subrepticement, à l’occasion d’un amendement d’une Commission, des dispositions contraires à notre pratique habituelle du droit, tout en mettant des obstacles supplémentaires aux candidats au regroupement familial.
Peu de familles réellement concernées, un texte qui revient sur des principes importants du droit français, de nouveaux bâtons dans les roues des candidats à l’émigration vers la France depuis l’Afrique : On voit par là que le législateur de la majorité actuelle n’est certainement pas dénué d’arrières-pensées...Libellés : immigration, politique
1 Commentaire(s) :
Quid des enfants adoptés ? En Afrique l'adoption n'existe pas ?
Vers quelle dérive va-t-on ?
Merci pour cet article
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