1.3.06

Commentaires du Projet de Loi de programme pour la recherche

La lecture de l'exposé des motifs de la loi de programme pour la recherche me laisse une curieuse impression. De grands principes sont rappelés concernant la nécessité d'une recherche forte et performante, les évolutions récentes du contexte mondial et ses conséquences sur la recherche sont exposées.

Des propositions sont ensuite faites pour sceller un "nouveau pacte de la nation avec sa recherche". Ambitieux programme !

Mais à lire les propositions qui sont faites dans ce texte, je peux comprendre que les acteurs de la recherche soient déçus, surtout après les mouvements de 2003 visant à réclamer plus de moyens et plus de postes, notamment dans la recherche publique.

Qu'y a t'il dans ce texte ?

L'affirmation du fondement de trois axes de développement :
  1. développement équilibré de l'ensemble de la recherche (fondamentale, sociétale, économique),
  2. développement d'interfaces et de coopérations entre les acteurs de la recherche, notamment par une dynamique de rapprochement des acteurs de la recherche publique,
  3. stratégie globale et de long terme, visant à renforcer la confiance entre la société française et sa recherche.
Ces trois axes sont ensuite déclinés en six objectifs :
  1. Renforcer nos capacités d'orientation stratégique et de définition des priorités ;
  2. Bâtir un système d'évaluation de la recherche unifié, cohérent et transparent ;
  3. Rassembler les énergies et faciliter les coopérations entre les acteurs de la recherche ;
  4. Offrir des carrières scientifiques attractives et évolutives ;
  5. Intensifier la dynamique d'innovation et tisser des liens plus étroits entre la recherche publique et la recherche privée ;
  6. Renforcer l'intégration du système français dans l'espace européen de la recherche.

Quelles propositions concrètes découlent de ces objectifs ? Vont-elles dans la bonne direction par rapport aux revendications des chercheurs et des docteurs ?

1. Renforcer nos capacités d'orientation stratégique et de définition des priorités :
- Création d'un Haut conseil de la science et de la technologie (HCST), composé de personnalités de très haut niveau, dont la mission consistera à éclairer le Président de la République et le Gouvernement sur toutes les questions relatives aux grandes orientations de la Nation en matière de politique de recherche et d'innovation et de veiller à l'adéquation des grands objectifs de recherche et d'innovation avec les attentes et les intérêts de la société, à court et long termes.
- Renforcement du
rôle du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie comme lieu de débat sur la politique de recherche.
-
Renforcement de la culture de projets.
Ce premier axe ne comporte que peu de choses concrètes et mes semble peu répondre aux préoccupations des chercheurs. Certains trouveront de nouveaux postes à occuper dans le HCST, mais il est difficile de connaître l'influence qu'aura en pratique de nouveau Haut Conseil...

2. Bâtir un système d'évaluation de la recherche unifié, cohérent et transparent :

- création de l'Agence d'évaluation de la recherche (AER), autorité administrative indépendante. Avec cette Agence, la France se forgera un système d'évaluation homogène, simple et conforme aux standards internationaux.
Cette Agence remplacera le Conseil national d'évaluation (CNE) et le Comité national d'évaluation de la recherche (CNER). Elle sera chargée de l'évaluation des activités de recherche conduites dans des établissements publics, y compris les centres hospitaliers universitaires, et par leurs unités de recherche. Elle donnera un avis sur les procédures mises en place dans les établissements pour évaluer leurs personnels et sur les conditions dans lesquelles elles sont mises en oeuvre. L'AER sera résolument tournée vers l'international.
Une nouvlle réforme de l'évaluation de la recherche, pourquoi pas ? Reste à définir à quoi servira cette évaluation. Les crédits de recherche des PRES dépendront ils de cette évaluation ? A noter que seule la recherche publique sera évaluée par l'AER. Pourquoi exclure d'emblée la recherche privée du champ d'investigation de cette Agence ? Surtout quand on découvre plus loin que l'ambition de la loi est de promouvoir la recherche privée.

3.
Rassembler les énergies et faciliter les coopérations entre les acteurs de la recherche :

- Rapprochement des acteurs pour atteindre une taille internationale : création des Pôles de Recherche et d'Enseignement Supérieur (PRES) pour faire émerger des campus de recherche d'envergure mondiale sur des thématiques d'avenir.

- Pérennisation de l'Agence Nationale pour la Recherche (ANR), qui devient un établissement public administratif.

- Allègement de certaines procédures administratives afin de permettre aux chercheurs de se consacrer à leur activité à la recherche
(généralisation du mandataire unique dans les unités mixtes de recherche (UMR), contrôle financier a posteriori généralisé, exclusion de certains achats scientifiques de l'application du code des marchés publics, modernisation de la gestion des ressources de la recherche universitaire)
Voilà un point intéressant dans sa volonté de créer des pôles de dimension internationale. Il est sans doute vrai que la recherche en France est morcelée entre différents campus et différents organismes, sur des sujets pourtant proches. Le fait de vouloir rapprocher les acteurs et permettre d'atteindre une meilleure visibilité est intéressant. Mais comme dans le même temps, on veut assouplir les démarches et faciliter les mouvements de chercheurs, il ne faut pas créer des mastodontes lourds à gérer. Exercice difficile. Une solution constiterait peut-être à mutualiser des moyens entre des structures de petite échelle, toutes rassemblées sous la bannière d'un projet commun ?



4.
Offrir des carrières scientifiques attractives et évolutives

-
Améliorer l'attractivité des carrières scientifiques pour les jeunes :
  1. renforcer leurs liens avec le monde économique
  2. favoriser leur insertion professionnelle
  3. augmentation très nette du montant des allocations de recherche
  4. reconnaissance de la période doctorale comme première expérience professionnelle
  5. création des « contrats d'insertion des post-doctorants pour la recherche en entreprise » (CIPRE)
  6. demande de reconnaître dans les conventions collectives le titre et le diplôme de « docteur »

- Améliorer les conditions d'entrée des docteurs dans la carrière scientifique :

  1. création d'un Observatoire de l'emploi des docteurs
  2. mise en oeuvre de mesures visant une forte augmentation de la recherche industrielle privée, ainsi que la valorisation du doctorat et la réactivation des filières de recherche dans les écoles d'ingénieur (l'exposé des motifs indique le recrutement espéré d'environ 50 000 chercheurs dans le secteur privé d'ici 2010).
  3. décharges d'enseignement pour les jeunes maîtres de conférences
  4. mise en place des bourses Descartes

- Offrir aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs les souplesses indispensables à un parcours scientifique au XXIème siècle :

  1. modulation des services entre chercheurs et enseignants-chercheurs, sur la base du volontariat,
  2. allègement de leur service d'enseignement des jeunes enseignants-chercheurs (pour une durée variable de deux à trois ans)
  3. mutualisation et allocation dynamique des charges d'enseignement et de recherche seront la règle dans les PRES ;
  4. les mobilités à l'international encouragées par une bonification des séjours à l'étranger dans le calcul de l'avancement dans la fonction publique,
  5. expériences dans l'entreprise seront rendues plus accessibles : il pourra s'agir de création d'entreprise (assouplissement des dispositions existantes), d'une activité de consultant à temps partiel (en permettant le cumul avec une activité de chercheur ou d'enseignant-chercheur) ou comme cadre à temps plein, notamment dans les jeunes entreprises innovantes ;
  6. les rémunérations des chercheurs et enseignants chercheurs seront rendues plus attractives en accroissant les volumes des primes (indemnité spécifique pour fonction d'intérêt collectif - ISFIC - et primes d'encadrement doctoral et de recherche - PEDR) et en les rendant accessibles à l'ensemble des chercheurs et enseignants-chercheurs méritants, sur la base de leur évaluation.

C'est en particulier sur ce volet que les jeunes docteurs et doctorants d'étaient mobilisés en 2003, devant le peu de perspectives qui leur était offert. L'attractivité des carrières scientifiques est surtout vu à l'aune de la carrière dans le privé. Pourtant, j'ai plutôt l'impression que beaucoup de jeunes chercheurs souhaiteraient plutôt s'investir dans la recherche publique...

Il est dommage de constater que c'est avant tout l'insertion des chercheurs dans le domaine de la recherche privée, en entreprise, qui est mis en avant dans cette loi.

L'objectif quantifié de 50 000 chercheurs embauchés dans le privé d'ici 2010 est révélateur de l'ambition de la loi : espérer, sinon promouvoir, le développement de la recherche privée.

Quant à la recherche publique, elle obtient de faibles avancées.

Les facilités offertes aux jeunes enseignants de plus se consacrer à la recherche était peut-être attendue par certains, puisqu'il est de notoriété publique qu'un enseignant chercheur se plaint souvent de ne pouvoir ni vraiment enseigner ni vraiment chercher.

La rémunération des chercheurs du public serait réévaluée avec des primes. Ce n'est sans doute pas ce qu'attendaient les chercheurs, qui espéraient surtout une revalorisation des salaires, plus de postes et plus de moyens... Force est de constater que la volonté n'est pas celle-là dans ce texte.

5. Intensifier la dynamique d'innovation et tisser des liens plus étroits entre la recherche publique et la recherche privée :

Conscient de la nécessité d'une intervention de l'État pour stimuler l'effort de recherche des entreprises, le Conseil de Barcelone a fixé à 2 % du produit intérieur brut les dépenses de recherche et développement qui doivent être exécutées dans le secteur privé. Or, avec seulement 1,4 %, la France souffre d'un déficit chronique dans ce domaine qu'il s'avère nécessaire et urgent de combler.

L'effort de la Nation sera mené autour de cinq actions principales et complémentaires : l'aide à la croissance des jeunes entreprises innovantes, la mise en oeuvre de grands programmes technologiques, le renforcement du soutien à la recherche des PME, le développement des interfaces entre recherche publique et recherche privée et, enfin, le développement de l'attractivité du territoire national, notamment grâce aux pôles de compétitivité.

Ce dernier point est également révélateur de l'esprit de cette loi, puisqu'il insiste sur l'engagement du secteur privé dans la recherche à hauteur de 2% du PIB. Cela signifie, comme l'avaient déjà soulignés les chercheurs en 2003, que la part du financement de la recheche publique est de 1% du PIB. N'est il pas possible d'augmenter les moyens de la recherche par le recours au budget de la nation, à hauteur des fameux 3%. Ce que le secteur privé voudra investir, sur des critères de rentabilité, serait alors du bonus par rapport à un ambitieux programme de recherche publique.

Mais ce n'est pas le chemin que choisit un gouvernement plus soucieux de diminuer les dépenses publiques que de déployer des efforts de recherche.

Le nouveau Pacte de la Nation avec sa recherche est donc avant tout un appel du pied au secteur privé pour embaucher des chercheurs. Cela préfigure déjà de nouvelles aides de l'Etat en faveur de l'insertion des docteurs, avec ristournes fiscales à la clef.

L'exode de nos jeunes chercheurs vers des cieux plus cléments n'est pas près de s'arrêter, si la seule chose qu'on leur offre est de rentrer dans la recherche privée, plus soucieuse de rentabilité à court terme que d'augmenter la connaissance.

YR