8.11.05

Loi instituant un état d'urgence et en déclarant l'application en Algérie.

Puisqu'il est question de sortir cette vieille loi des oubliettes de l'histoire, relisons-la avec 50 ans de recul.

Tout d'abord, un coup d'oeil à la liste des signataires est éloquent, et nous replace immédiatement dans une France désuète, une France de la IVème République, une France de Dunkerque à Tamanraset, mais une France malgré tout toujours vivace dans l'esprit de nos décideurs. On retrouve donc en bonne place des noms commeCOTY (Président de la République), de FAURE (président du conseil des ministres, de SCHUMAN (garde des sceaux, ministre de la justice), de PINAY (ministre des affaires étrangères), de PFLIMLIN (ministre des finances et des affaires économiques)... Cà ne vous dit rien ? Retournez lire vos manuels d'histoire de 3ème, ou de Terminale !

Le texte de la Loi lui-même est évidemment truffé de références à l'Algérie, puisqu'il a été élaboré pour tenter de mettre fin à des émeutes dans ce département français, avec le succès que l'on sait.

Ainsi donc :

Article 1

L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, de l'Algérie, ou des départements d'outre-mer, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Est-il risible de constater que ce texte est ressorti pour s'appliquer à des territoires métropolitains peuplés en nombre de descendants d'Algériens ?

On apprend que cet état d'urgence ne peut durer plus de 12 jours, sauf loi contraire.

Article 2
Modifié par Ordonnance n°60-372 du 15 avril 1960 art. 1 (JORF 17 avril 1960).

L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur.

Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état d'urgence recevra application seront fixées par décret.

La prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi.

Article 3
Modifié par Ordonnance n°60-372 du 15 avril 1960 art. 1 (JORF 17 avril 1960).

La loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l'état d'urgence fixe sa durée définitive.

Puis on apprend que l'état d'urgence est rendu caduque après la démission du gouvernement ou la dissolution de l'Assemblée. Quelle belle occasion pour les casseurs de proclamer qu'ils souhaitent la chute du gouvernement et non pas seulement le départ du ministre de l'Intérieur !


Article 4
Modifié par Ordonnance n°60-372 du 15 avril 1960 art. 1 (JORF 17 avril 1960).

La loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale.

Mais qu'est ce l'état d'urgence, au fait ? Et bien, c'est donner aux préfets de département certains pouvoirs. Remarquons qu'il ne s'agit pas des préfets de régions, puisqu'il faudra attendre 1982 pour qu'ils soient institués... Attention donc aux procédures, messieurs les préfets, sous peine de nullité de l'application de cette loi d'exception !

Article 5

La déclaration de l'état d'urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription prévue à l'article 2 :

1° D'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;

2° D'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;

3° D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics.

C'est aussi des pouvoirs au ministre de l'intérieur. Tiens donc ? Celui qui parle de "nettoyer les cités" ? Celui qui veut mettre au pas la "racaille" ? Bigre... Cà promet ! Mais heureusement, en cohérence avec la fermeture de Sangatte par le même ministre, il est interdit de créer des camps.

Article 6
Modifié par Loi n°55-1080 du 7 août 1955 art. 3 (JORF 14 août 1955).

Le ministre de l'intérieur dans tous les cas et, en Algérie, le gouverneur général peuvent prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret visé à l'article 2 dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics des circonscriptions territoriales visées audit article.

L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération.

En aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées à l'alinéa précédent.

L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille.

Le même ministre peut fermer des lieux publics.

Article 8

Le ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, le gouvernement général pour l'Algérie et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret prévu à l'article 2.

Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

En outre, les armes sont confisquées. J'imagine que cela concerne également les pavés, les boules de pétanques et les cocktails artisanaux...

Article 9

Les autorités désignées à l'article 6 peuvent ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories définies par le décret du 18 avril 1939.

Les armes de la cinquième catégorie remises en vertu des dispositions qui précèdent donneront lieu à récépissé. Toutes dispositions seront prises pour qu'elles soient rendues à leur propriétaire en l'état où elles étaient lors de leur dépôt.

L'état d'urgence, c'est la guerre. Pour ceux qui en doutaient encore, quelques articles sur ce sujet :

Article 10

La déclaration de l'état d'urgence s'ajoute aux cas visés à l'arrêté article 1er de la loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation générale de la nation en temps de guerre pour la mise à exécution de tout ou partie des dispositions de ladite loi en vue de pourvoir aux besoins résultant de circonstances prévues à l'article 1er.

D'ailleurs, les dispositions de la déclararion d'état d'urgence permettent de perquisitionner les domicile à toute heure et de censurer la presse et toutes les publications. Mais comme cet article précise que "les dispositions du paragraphe 1° du présent article ne sont applicables que dans les zones fixées par le décret", il devient dès lors impossible de contrôler Internet (si d'aventure ce média était contrôlable...) Mais je vous rappelle que ce texte date de 1955, et que l'ordinateur n'était pas né !

Article 11
Modifié par Ordonnance n°60-372 du 15 avril 1960 art. 1 (JORF 17 avril 1960).

Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse :

1° Conférer aux autorités administratives visées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ;

2° Habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections ciné-matographiques et des représentations théâtrales.

Les dispositions du paragraphe 1° du présent article ne sont applicables que dans les zones fixées par le décret prévu à l'article 2 ci-dessus.

L'état d'urgence, c'est la guerre. Et la guerre, c'est une affaire de militaires. D'ailleurs, ce sont les tribunaux militaires qui seront saisis pour juger les personnes arrêtées dans le cadre de l'état d'urgence, c'est à dire ceux qui n'auront pas respecté les interdictions de circulations ou qui se seront réunis, ou qui auront tenté de s'opposer, ce qui peut faire rapidement du monde, si ce sont les militaires sur le terrain qui ont pouvoir de décider de ce qu'est une réunion ou une tentative d'opposition...

Mais le plus drôle, c'est que le tribunal militaire peut se saisir d'un dossier qui était au civil, que l'instruction pourra courir même après la fin de l'état d'urgence, et que les décisions de ces tribunaux sont sans appel ! Il ne peut y avoir que cassation, et encore, devant un tribunal militaire ! Cà y'est ? Vous avez froid dans le dos ?

Article 12
Modifié par Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 art. 83 (JORF 16 juin 2000).

Lorsque l'état d'urgence est institué, dans tout ou partie d'un département, un décret pris sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre de la défense nationale peut autoriser la juridiction militaire à se saisir de crimes, ainsi que des délits qui leur sont connexes, relevant de la cour d'assises de ce département.

La juridiction de droit commun reste saisie tant que l'autorité militaire ne revendique pas la poursuite et, dans tous les cas, jusqu'à l'ordonnance prévue à l'article 133 du code d'instruction criminelle (1). Si, postérieurement à cette ordonnance, l'autorité militaire compétente pour saisir la juridiction militaire revendique cette poursuite, la procédure se trouve, nonobstant les dispositions de l'article 24, dernier alinéa, du code de justice militaire, portée de plein droit devant la chambre des mises en accusation prévue par l'article 68 du code de la justice militaire, lorsque la chambre de l'instruction saisie n'a pas encore rendu son arrêt, soi t devant la juridiction militaire compétente ratione loci lorsqu'un arrêt de renvoi a été rendu. Dans ce dernier cas, les dispositions de l'alinéa ci-après sont applicables, et il n'y a pas lieu pour la Cour de cassation de statuer avant le jugement sur les pourvois qui ont pu être formés contre cet arrêté. Le tribunal militaire est constitué et statue, dans les conditions fixées aux deux derniers alinéas de l'article 10 du code de la justice militaire.

Lorsque le décret prévu à l'alinéa du présent article est intervenu, dans les circonscriptions judiciaires précisées audit décret et pour toutes les procédures déférées à la juridiction militaire, il ne pourra être exercé aucune voie de recours contre les décisions des juridictions d'instruction, y compris l'arrêt de renvoi, à l'exception de l'opposition contre les ordonnances statuant sur une demande de mise en liberté provisoire devant la chambre des mises en accusation, qui statuera dans la quinzaine. Une nouvelle opposition ne pourra être élevée que contre une ordonnance rendue plus de deux mois après une précédente décision de rejet de la chambre des mises en accusation.

Les pourvois en cassation contre les décisions des juridictions d'instruction ne peuvent être formés qu'après jugement statuant au fond et, s'il y a lieu, en même temps que le pourvoi élevé contre celui-ci. Ils sont portés devant un tribunal militaire de cassation établi par décret en se conformant aux articles 126 à 132 du code de justice militaire et statuant dans les conditions de forme et de fond prévues aux articles 133 à 155 dudit code.

Aucune voie de recours, même en cassation, ne pourra également être exercée contre les décisions des juridictions d'instruction de droit commun statuant sur des faits prévus audit décret à l'exclusion de l'appel devant la chambre des mises en accusation.

NOTA : Voir article 181 du Code de procédure pénale.

Malgré tout, l'été d'urgence finit normalement par s'arrêter. Mais pas pour les prévenus.

Article 14

Les mesures prises en application de la présente loi cessent d'avoir effet en même temps que prend fin l'état d'urgence.

Toutefois, après la levée de l'état d'urgence les tribunaux militaires continuent de connaître des crimes et délits dont la poursuite leur avait été déférée.


L'article 15 est assez amusant puisqu'il promulgue un état d'urgence sur un territoire souverain, l'Algérie...

Article 15

L'état d'urgence est déclaré sur le territoire de l'Algérie et pour une durée de six mois.

Un décret, pris en exécution de l'article 2, fixera les zones dans lesquelles cet état d'urgence recevra application.

Bref, vous aurez compris qu'il vaut mieux ne pas prendre à la légère ce genre de décision... Le fait qu'on envisage en France d'avoir recours à ce type de mesures est assez symptomatique de décideurs pris au dépourvu. Restaurer l'ordre, bien sûr ! Mais à quel prix ?

YR