6.2.06

Contrat Première Embauche

A lire certains blogs de pro-CPE, il se dégage une impression de malaise. Ce malaise provient du fait que ces blogs reprennent intégralement les arguments du gouvernement sans les mettre en perspective, sans les contextualiser.

Ainsi je suis surpris de lire sur ces blogs que :

1) "le CPE est un CDI" :

Non, le CPE n'est pas un CDI. Le CPE est un contrat à durée indéterminée, certes, mais n'est pas un CDI.

Quelles différences ?

Je vous renvoie au Code du Travail :

Article L122-14 :

L'employeur ou son représentant qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge en lui indiquant l'objet de la convocation. [...]

Au cours de l'entretien, l'employeur est tenu d'indiquer les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié.

Article L122-14-2

L'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement mentionnée à l'article L. 122-14-1.

Article L122-14-3

En cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Avec le CPE (et le CNE), ces articles ne s'appliquent plus. Ce n'est pas anodin. En pratique, cela signifie que l'employeur peut licencier le salarié pendant les 2 premières années de son contrat sans indiquer de motif, donc sans posiibilité de contester le licenciement. Voyez-vous la différence ?

2) "Les femmes enceintes seront autant protégées lors de la période de consolidation du CPE que dans le cadre d’un CDI classique."

Je crains de ne pas être d'accord avec cette vision des choses. Peut-être est-ce parce que j'ai travaillé longtemps

dans des petites entreprises ? Lors de la période de "consolidation", comme elle est appellée pudiquement, l'employeur peut licencier sans motif. Comment pensez vous qu'une femme enceinte licenciée d'un CPE va pouvoir se retourner légalement contre son employeur sans ce précieux motif ? Comment faire la preuve que c'est à cause de sa grossesse, et donc de son indisponibilité au travail pendant 4 mois au minimum, qu'elle aura été licenciée ? Comment demander à son employeur de faire la preuve que ce n'est pas pour ce motif qu'il l'aura licenciée ? Epineux problème... Avec un CDI, l'employeur est tenu de donner un motif, donc la discussion est ouverte, et des éléments peuvent être apportés aux prud'hommes par la femme enceinte poue se défendre et par l'employeur pour prouver sa bonne foi.

Avec le CPE, plus rien de cela.

J'ajoute que ce ne sont pas seulement les femmes enceintes qui risqueront leur place, mais aussi les lendemains de fêtes migraineux, les blessés (une foulure de la cheville au foot, c'est handicapant pour travailler, le savez-vous ?), les malades chroniques...

J'ajoute à cette liste les fortes têtes, les revendicatifs, ceux qui refusent les heures supplémentaires imposées, ou les trajets longues distances, ceux qui voudront prendre un jour de congé ce mardi là, ceux qui verront leur jour de récup déplacé au jeudi, ceux qui ne voudront pas utiliser leur véhicule personnel pour des trajets professionnels, ceux qui refusent de décaler leur congé de paternité, ceux qui demandent le remboursement de leur ticket de péage,
ceux
qui refusent une mutation imposée, ceux qui critiquent la gestion, ceux qui ne disent pas bonjour, qui ne font pas le café, qui ne sortent pas les ordures...

J'ajoute ceux qui seront maladroits un jour et casseront une pièce, ceux qui commettront une erreur, ceux qui seront moins performants, ceux qui laisseront pour une

fois filer une affaire, ceux qui perdront un client, ceux qui vendront moins cette semaine là ,ceux qui seront en retard ce jour là, ceux qui oublieront ceci, ceux qui n'auront pas fait cela, ceux qui auront fait ceci, ceux qui n'auront pas oublié cela...

J'ajoute aussi ceux qui trouvent la fille du chef mignonne, ceux qui rayeront accidentellement la voiture du chef, ceux qui croiseront le chef à la boulangerie après une nuit de bringue, ceux qui ne laisseront pas le chef gagner le match lors du tournoi du club de la petite ville, bref les raisons ne manquent pas de se retrouver dehors, raisons qui n'ont souvent rien à voir avec le travail.

Etes-vous prêts à ne plus avoir de garanties pendant 2 ans face au bon vouloir d'une seule personne ? Le fait de trouver un emploi qu'on ne trouverait pas par ailleurs vaut-il de telles contreparties ?

3) "Le CPE facilitera pour les jeunes l’accès au logement et au crédit."

Là, on nage en plein bonheur. Non seulement le CPE est un CDI, mais en plus il permettra plus de choses qu'un CDI ! Aujourd'hui, un CDI en poche, pas évident de trouver un logement ou un crédit.

Les bailleurs veulent des garanties mirobolantes. En plus de la caution, ils demandent des revenus supérieurs à 3 fois le montant du loyer, demandent des feuilles d'impôt, la garantie d'une tierce personne, etc. Croyez vous sérieusement que le titulaire d'un contrat encore plus précaire (2 ans sans savoir si on ne sera pas viré le lendemain !) pourra plus facilement se loger ? Connaissez vous des bailleurs qui loueront plus facilement à des CPE qu'à des CDI ? Connaissez vous des bailleurs qui loueront plus facilement à quelqu'un qui peut se retrouver avec 490€ par mois pour vivre ?

Quant aux banques, eh bien ! Les banques, elles prêtent à ceux qui peuvent rembourser. Aujourd'hui, et quels que soient leurs discours, les banques ne prêtent pas aux pauvres, et pas aux titulaires de CDI de moins d'un an, voire deux pour un prêt immobilier. Si vous en trouvez une, donnez moi son adresse, çà m'intéresse ! Comment pouvez vous croire qu'un banquier va prêter de l'argent à quelqu'un dont il ne sait pas combien de temps il va toucher son salaire ? Comment pouvez vous imaginer qu'un banquier va prêter à quelqu'un qui peut se retrouver avec 490€ par mois pour vivre ?

4) "Le CPE c’est la précarisation de l’emploi."

Avons nous la même définition de la précarité ? Selon le Larousse : "État de ce qui est précaire, dont la durée, la stabilité n’est pas assurée."

N'est ce pas exactement ce que prépare le CPE ? Un contrat de travail dont la durée n'est pas assurée. Pas un CDD, dont on sait quand il se terminera, et avec quelle indemnité. Pas un CDI, dont on sait qu'on ne peut être viré sans motif. Un CPE, dont on ne sait quand on sera viré pendant 730 jours, et dont on ne saura pas le motif ! Un contrat qui ne permettra pas plus de se loger ou d'emprunter, et qui met le salarié à la merci du bon vouloir de l'employeur !

J'ai conservé mon témoignage pour la fin.

Je travaille actuellement dans une très petite entreprise, qui compte 10 salariés. Dès le mois d'avril 2005, nous avions identifié un surcroît notable d'activité, pour une durée de 12 à 15 mois. Ces contrats demandaient l'embauche de 3 personnes supplémentaires. Des CDD ont été envisagés, puis des CDI. Le premier jeune a été embauché en CDI, car l'embauche ne pouvait pas attendre. Notre patron a repoussé l'embauche des deux autres après le 1er septembre, pour pouvoir embaucher en CNE. Le motif, l'unique motif, nous a été donné par oral : faciliter le licenciement de ces salariés si l'activité ne se poursuivait pas au-delà de 15 mois et "mettre la pression" sur les jeunes embauchés. En clair, nos deux jeunes collègues sont tenus de travailler et de la fermer, sans opportunités de formation ou d'augmentation, et ils savent déjà qu'ils ne seront pas conservés s'ils ne se bougent pas pour trouver eux-mêmes leur charge pour dans 15 mois. Notre patron fait donc reposer la poursuite de leur activité sur le bon vouloir de ces deux jeunes. J'espère seulement qu'ils ne nous planteront pas là avant la fin de leur mission, ce qui serait très préjudiciable à l'image de notre société. Mais moi, je peux dire cela à mon patron sans risquer le licenciement : je suis en CDI depuis plus de deux ans.

YR