Question au Gouvernement : Responsabilités de l’état actionnaire
Lors de la deuxième séance du mardi 20 juin 2006, M. Hollande a voulu poser une question concernant la responsabilité de l'Etat auprès d'EADS, l'Etat étant actionnaire à 15%. Je recopie ici intégralement les échanges entre M. Hollande et le Premier Ministre :
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M. François Hollande – Monsieur le Premier ministre, en politique comme en tout, rien ne peut se construire sans la confiance (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). La confiance, vous l’avez perdue auprès des Français mais aussi au sein de votre majorité (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Sinon, vous auriez d’ores et déjà privatisé Gaz de France. Et cette confiance, vous ne la retrouverez pas par le biais des actions en justice que vous intentez contre des journalistes. Jamais un Premier ministre n’avait agi ainsi sous la Vème République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; vives exclamations sur les bancs du groupe UMP)
Un député UMP – Et Mitterrand ?
M. François Hollande - Pas de confiance dans le pays, pas de confiance de la majorité, ni dans la presse : dans toute démocratie digne de ce nom, le chef de l’État ou le Parlement auraient mis fin à cette situation. Mais notre pays vit actuellement sous le régime de l’irresponsabilité ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP)
Cette irresponsabilité ne doit pas gagner les affaires industrielles et économiques. Or, l’un des fleurons de l’industrie aéronautique nationale et européenne, EADS, est aujourd’hui ébranlé par le comportement de l’un de ses dirigeants. Au moment même où Airbus annonce qu’il y aura des retards dans la livraison du gros porteur A 380 et où le cours du titre EADS s’effondre de plus de 25 % en Bourse, on apprend que trois mois plus tôt, le co-président de cette entreprise a exercé son droit d’option sur ses stock-options, réalisant au passage une plus-value de 2, 5 millions d’euros. Sans préjuger des résultats des enquêtes diligentées par l’Autorité des marchés financiers, laquelle conclura ou non à un délit d’initié, cette attitude est doublement condamnable – et, je l’espère, sera condamnée ici même. Elle confirme en effet que des dirigeants d’entreprise n’hésitent pas aujourd’hui à s’octroyer des rémunérations considérables, au moment même où leurs salariés se trouvent réduits à la portion congrue (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe UMP). Ces faits ont en outre eu lieu alors que le groupe EADS annonçait un millier de suppressions d’emplois dans sa filiale Sogerma de Mérignac.
M. le Président – Posez votre question, je vous prie.
M. François Hollande - Elle est très simple. Dès lors que l’État français détient 15 % du capital de EADS, dès lors que le Président de la République et vous-même, Monsieur le Premier ministre, avez joué un rôle dans la nomination du co-président d’EADS, M. Forgeard, lui maintenez-vous votre confiance ? Si tel était le cas…
M. le Président – Merci, Monsieur Hollande.
M. François Hollande - Attendez, Monsieur le Président (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP).
M. le Président – Non, Monsieur Hollande. Chacun a droit au même temps pour poser sa question (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe UMP)
M. François Hollande - Si tel était le cas, cela signifierait que l’irresponsabilité générale l’a emporté, puisqu’on aurait la preuve qu’un président d’entreprise peut se comporter ainsi sans être rappelé à l’ordre par l’État (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; brouhaha persistant sur les bancs du groupe UMP).
M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Monsieur Hollande, il est des moments dans la démocratie où l’on ne peut pas dire n’importe quoi (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste). En 2000, c’est vous qui avez défini, avec Lionel Jospin, le pacte d’actionnaires ; c’est votre responsabilité et nous remettrons les choses à plat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste).
Il est des moments dans une démocratie où on ne peut pas mélanger les carottes et les choux-fleurs, l’exigence de vérité et l’exigence de bonne gestion. Je dénonce, Monsieur Hollande, la facilité, et je dirai même en vous regardant, la lâcheté… (Cris sur les bancs du groupe socialiste où les députés se lèvent)
M. le Président – Asseyez-vous, je vous en prie.
M. le Premier ministre - … la lâcheté de votre attitude (Les députés socialistes, empêchés de se diriger vers le Premier ministre par les huissiers, se massent au pied de la tribune où leurs cris et huées couvrent la parole du Premier ministre), sa lâcheté, je le redis. (Les députés socialistes, toujours massés au pied de la tribune, continuent de crier, « Démission ! Sortez ! » rendant quasi inaudible le propos du Premier ministre).
J’ai relevé plusieurs contradictions dans votre propos, Monsieur Hollande. Tout d’abord, vous n’avez jamais assumé la moindre politique industrielle dans notre pays. Nous, nous avons posé les bases d’une politique énergétique de pointe, au meilleur coût et respectueuse de l’environnement (Les députés socialistes continuent de crier : « Sortez ! Sortez !)
M. le Président – Arrêtez, cela ne sert à rien. Quel triste spectacle vous donnez !
M. le Premier ministre – En matière industrielle et en matière d’énergie, comme en matière politique, c’est le principe de responsabilité qui importe. (Le Premier ministre poursuit son propos, couvert par les cris des députés socialistes) Nous avons défendu les services publics alors que nous n’avez jamais cessé de les brader. Vous n’avez jamais été au rendez-vous de la politique de la nation (Le brouhaha grossit encore) alors que nous avons cherché à redéfinir les exigences, pour avancer. Enfin, alors que vous n’avez pas fait le nécessaire pour les entreprises publiques, nous voulons leur donner les moyens de se moderniser et de relever les défis (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; les députés socialistes, massés au pied de la tribune, continuent de crier).
M. le Président – Arrêtez ! Si vous voulez sortir, sortez, mais sortez dans le calme ! Monsieur Ayrault, montrez l’exemple. La parole est à M. Perruchot. Monsieur Cambadélis, Monsieur Dray, on se comporte correctement dans l’hémicycle ! (Intense brouhaha persistant) Monsieur Perruchot, allez-y, posez votre question (« Ce n’est pas possible ! » sur les bancs du groupe UDF).
Que dire de ce triste spectacle ?
Cet échange est avant tout symptomatique d'une difficulté structurelle des institutions de la 5ème République. En effet, en créant une majorité par l'artifice du scrutin uninominal à deux tours par circonscription, plutôt favorable aux grosses écuries politiques, le rôle de l'Assemblée est restreint à celui d'une chambre d'enregistrement de la politique gouvernementale, pour les députés de la majorité, et à une opposition systématique de toutes façons vouée à la stérilité politique de la part de l'opposition...
C'est ainsi qu'on se provoque et qu'on s'insulte pour faire du bruit et se placer dans les médias, qui attendent complaisamment le moindre éclat de ce type. C'est désolant.
1 Commentaire(s) :
Hum... C'est chaud, c'est chaud... :-)
J'imagine déjà les cours d'histoire des écoliers de 2100, évoquant le déclin des institutions de la Vème République, les couacs, les scandales, sur fond de déclin économique et de délitement du tissu social... Manquerait plus qu'un ou deux assassinats politiques liés aux affaires...
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