Bilan 2007 du Conseil Constitutionnel
Pierre Mazeaud, pour un an encore.
Cette année, il expose des vérités constitutionnelles dans ses voeux au Président de la République, sans mâcher ses mots. Heureux indépendant en fin de contrat qui plus est !
Certains hommes politiques (cela est même arrivé à deux ministres), incommodés par les conséquences de nos décisions, manifestent, par des critiques publiques, qu'ils n'ont toujours pas compris que le Conseil juge en droit.
Au chapitre de l'élaboration de la loi, le Conseil constitutionnel ne peut que déplorer que, même sur des textes importants, se banalise la déclaration d'urgence et que des amendements substantiels soient introduits trop tard au cours de la procédure (notamment devant la deuxième assemblée saisie lorsque la loi est examinée en urgence).A propos du droit de vote des étrangers, Pierre Mazeaud indique :
A propos de la discrimination positive, je me réjouis de voir mon opinion confortée : la discrimination, même affublée de positivisme, est une discrimination.Si un étranger a de profondes attaches avec la France et souhaite participer pleinement à la vie de la Cité, plutôt que d'accéder à un simple strapontin aux élections locales, il faut lui ouvrir la seule voie digne de ses aspirations : la voie royale de la naturalisation.
La citoyenneté ne se transmet pas en pièces détachées.
A propos de la parité, il est clair que le Conseil Constitutionnel doit défendre la Constitution, et comme la Constitution a été modifiée pour y intégrer cette discrimination légale, le Président du CC ne peut que s'incliner :Les politiques dites de « discrimination positive » reposent sur l'idée qu'il faut compenser les handicaps et injustices dont certains groupes ont été les victimes.
Elles s'inscrivent dans l'évolution des idées démocratiques selon laquelle il convient non seulement de respecter les libertés formelles, mais aussi de garantir les libertés réelles, ce qui impose de réaliser un degré suffisant d'égalité de fait.
D'où la nécessité de politiques sociales, au sens large du terme, tendant à l'égalité effective entre citoyens.
Deux types de politiques, d'esprits fort différents, peuvent cependant être mises en œuvre à cet effet.
La première vise à modifier progressivement les mentalités et à transformer peu à peu le cadre socio-économique. C'est de ce type de politiques que s'inspire, en France, la création de la « Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ».
C'est dans ce cadre que Martin Luther King concevait son combat : faire respecter effectivement les principes proclamés par les textes fondateurs. Elle se réclame de l'égalité des chances et tend, en combinant l'intervention de l'Etat, celle de la « société civile » et celle des citoyens ordinaires, à éliminer les discriminations négatives et à réduire les obstacles de toutes sortes s'opposant à l'exercice effectif de l'égalité des droits.
Elle ne cherche pas à imposer immédiatement, par la contrainte légale, un résultat prédéterminé. Elle ne remet en cause ni le principe de l'égalité des droits, ni les libertés de la personne, ni la conception universaliste de la citoyenneté. Elle accorde une importance essentielle à l'évolution des moeurs. C'est la politique de Montesquieu.
La seconde politique consiste à accorder d'emblée des droits spécifiques aux groupes défavorisés, au titre de la réparation des préjudices collectifs subis dans le présent ou le passé. Elle cherche, par la force de la loi, à atteindre d'emblée un objectif que l'évolution spontanée de la société mettrait trop de temps à réaliser.
Elle impose la présence d'une proportion précise des représentants de tel ou tel groupe dans tel ou tel secteur, en particulier aux postes de responsabilité. C'est une politique particulariste. Elle écarte, au moins provisoirement, l'égalité entre individus au profit de l'égalité entre groupes.
Ces deux démarches présentent des avantages et des inconvénients fort différents.
La démarche universaliste - dont la politique de la ville offre en France une bonne illustration - ne peut avoir que des effets à long terme. Ses lenteurs se marquent, en particulier, dans la persistance d'inégalités de traitement objectives, diffuses ou inconscientes (le fameux « plafond de verre »). Mais elle a une double vertu : l'intégration des membres des groupes défavorisés n'est pas artificielle et acquiert, pour cette raison, valeur exemplaire ; elle ne remet pas en cause les principes fondamentaux de notre « vivre ensemble ».
La politique particulariste permet, quant à elle, d'obtenir des résultats plus rapidement visibles et, selon l'expression consacrée, d' « amorcer la pompe » de façon parfois spectaculaire.
Mais ses bases sont fragiles. Fondée sur l'idée que chaque institution devrait être à l'image de la société tout entière (alors pourtant que chacun demande au chirurgien qui va l'opérer d'être un bon chirurgien et se soucie peu de son sexe, de sa couleur ou de sa religion), elle risque de jeter le discrédit sur ses bénéficiaires, de pousser ceux-ci à s'identifier à un groupe d'appartenance plutôt qu'à la communauté nationale, de freiner la mobilité culturelle et de fragmenter le corps social.
Qu'en est-il des discriminations positives en faveur de la participation des femmes aux responsabilités ? [...]Très critique envers les citoyens des temps modernes qui ont perdu de vue la notion de citoyenneté :Il y a déjà un quart de siècle, le Conseil constitutionnel a tiré du rapprochement de l'article 3 de la Constitution - qui affirme l'égalité devant le droit de suffrage - et de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - relatif à l'égal accès de tous les citoyens aux emplois publics - qu'une distinction opérée par la loi entre candidats aux élections municipales en raison de leur sexe était contraire à la Constitution.
Cette solution a été confirmée en 1999 pour les élections régionales.
Pour surmonter la jurisprudence du Conseil prohibant la prise en compte du sexe par le droit électoral, le Congrès convoqué à Versailles le 28 juin 1999 a ratifié une révision constitutionnelle portant sur les articles 3 et 4 de la Constitution.
Là encore, le contraste avec le citoyen des Lumières est saisissant.Ne pensant son lien avec la Cité que selon des modalités actives et participatives, le citoyen des Lumières ne veut (et ne peut d'ailleurs) être jugé que sur ses mérites et son action.
Le statut du citoyen des Lumières ne pouvait dépendre de son appartenance à tel ou tel groupe auquel les hasards de la naissance l'attachaient et duquel la citoyenneté lui permettait justement de s'émanciper.
Le citoyen des Lumières se pense à partir de son rôle dans la cité, qui est fonction de ses oeuvres et de son libre arbitre. C'est la part publique et universelle de son être en société qui le définit.
Le créancier des « droits à » se pense, au contraire, à partir de données congénitales ou subies - sexe, race, culture familiale, histoire, handicap, catégorie sociale etc…- qui, certes, induisent une part de sa personnalité, mais en la déterminant de l'extérieur, là où, au contraire, le citoyen des Lumières la forgeait de l'intérieur, par l'exercice du libre arbitre et l'effort d'intégration.
Dès lors, si s'élève, à l'encontre de l'insuffisance présumée des politiques publiques pour les individus concrets, la réclamation tonitruante que nous connaissons aujourd'hui, c'est sans doute parce que nos contemporains se comportent de moins en moins en citoyens et de plus en plus en ayants-droit.
Qu'ils se prévalent toujours moins de leur contribution à la bonne marche de la Cité et toujours plus des préjudices ou des injustices dont ils estiment être victimes en raison d'une histoire individuelle ou collective malheureuse, imputée directement ou indirectement au système.
A propos de la démocratie participative :
Et cette définition de la citoyenneté :Il est donc vital, pour que la démocratie soit un système de gouvernement efficace, pour qu'elle serve concrètement le peuple et ne se contente pas de le flatter, que le jugement de nos concitoyens ne soit pas instantané, autrement dit que les échéances électorales soient espacées et respectées.
C'est sur son bilan global que, pour le bien commun, l'action des élus devra subir l'épreuve du suffrage universel.
A défaut, règne la dictature affolante et paralysante des sondages ou celle de substituts pires encore, que nous avons connus hélas dans les périodes les plus troublées de notre histoire : assemblées générales permanentes, comités de salut public...
La citoyenneté authentique, qu'il ne faut pas confondre avec beaucoup de ces actions dites citoyennes dont les visées sont souvent bloquantes, médiatiques ou politiques, la citoyenneté véritable, exprime des évidences qui inspirent ou devraient inspirer nos comportements collectifs :
- une société est faite de civilités, de solidarités, j'allais dire de savoir-vivre, qu'il est impossible de réduire à une liste, nécessairement incomplète et conflictuelle, de droits individuels ;
- les devoirs, et pas seulement les droits, tissent le lien social.
- avoir les seconds sans les premiers convient peut-être à l'usager, au consommateur ou au plaignant, mais non au citoyen ;
- enfin, les décisions majeures de la vie collective, comme de la vie individuelle, se prennent au nom de principes qui transcendent les réclamations ordinaires.
Intéressant point de vue, non ?
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