18.1.07

Projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution

Suite à une promesse du candidat Chirac en 2002, la réforme du statut pénal du chef de l'Etat est entrée en discussion au Sénat, après passage à l'Assemblée.

Cette réforme prend la forme d'un projet de loi Constitutionnel. Il s'agit donc de modifier la COnstitution, qui prévoit, dans son Titre IX, les modalités de destitution du Président de la République.

La Constitution prévoit actuellement ceci :
Titre IX - La Haute Cour de Justice

Article 67 :

Il est institué une Haute Cour de Justice.

Elle est composée de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée Nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées. Elle élit son Président parmi ses membres.

Une loi organique fixe la composition de la Haute Cour, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure applicable devant elle.

Article 68 :

Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice.

Avec ces dispositions, le Président de la République ne peut être destitué que pour "haute trahison". C'est à dire qu'il ne peut être démis que pour des motifs extrêmement graves pour la Nation. Cette disposition d'inspiration militaire n'ayant jamais été appliquée, je n'ai pas d'exemple de ce que devrait faire un Président pour être accusé de ce crime.

Mais l'important n'est pas là. Dans sa rédaction actuelle, ce titre IX indique que le Président ne peut être inquiété pour quoi que ce soit qui ne relève pas de ce crime. Donc, l'impunité est totale pendant la durée du mandat. Si de plus, le Président est réélu, la durée pendant laquelle la justice ne peut lui demander de comptes peut être de 10 ans.

Face à cela, le candidat Chirac, pour une raison qui m'échappe, avait promis de réformer. Comme cette réforme arrive en fin de mandat, les futures dispositions, si elles sont adoptées, ne lui seront pas applicables.

Quelles sont ces nouvelles dispositions ?

En l'Etat actuel du texte, avant son passage devant le Sénat, dit ceci :

« TITRE IX

« LA HAUTE COUR

« Art. 67. - Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

« Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

« Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.

« Art. 68. - Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

« La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours.

« La Haute Cour est présidée par le Président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.

« Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

« Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article. »

Le texte est plus long, on peut donc espérer plus d'explications sur le statut pénal du chef de l'Etat.

Effectivement, l'article 67 précise que le Président ne peut être mis en cause ou même simplement appelé à témoigner pendant son mandat.

L'article 68 explicite les formalités de destitution.

Plus de "haute trahison", mais - c'est là où le bât blesse - le recours à la formule alambiquée de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat".

Question : qu'est-ce qui est "manifestement incompatible" avec les devoirs d'un chef d'Etat ?

S'agit t'il d'actes incompatibles avec la fonction, telle que décrite dans la Constitution ? Un acte anticonstitutionnel, tel que la promulgation-retrait du CPE est-il suffisant ?

S'agit t'il de la conduite passée du Président ? Par exemple - mais cela est tellement improbable que la question est toute réthotique - si il était mis à jour que le Président avait dans son passé accepté des dessous-de-table ou des pots-de-vin, cela serait-il "manifestement incompatible" ?

Autre question : à qui reviendra la tâche de décider que tel ou tel acte est "manifestement incompatible" ?

A lire le texte, il semble bien que ce soit au Parlement que revient cette possibilité. Donc, si une assemblée décide aux 2/3 de ses membres de demander la destitution, elle le pourrait, sans que la validité du crime reproché soit autrement jugé que par des députés et des sénateurs ?

On voit ici que le pouvoir législatif gagne un pouvoir de contrôle sur le Président qui est loin d'être négligeable. Il s'agit bien d'une réforme importante, touchant à l'équilibre des pouvoirs dans la Vème République.

Si ce texte passe, et il est bien parti pour, il sera intéressant de voir quel usage en sera fait dans l'avenir. A quel jeu joueront les parlementaires ? Oseront-ils attaquer le Président quand celui-ci peut dissoudre l'Assemblée ? Comment réagiront les sénateurs, qui eux ne risquent rien de la part du Président ? Doit-on s'attendre, le Sénat étant traditionnellement de droite, à voir les présidents de gauche continuellement sommés de s'expliquer ? Doit-on s'attendre à ce qu'un Président de gauche ne puisse pas gouverner longtemps, sa majorité au Parlement ne le préservant pas d'une majorité aux 2/3 contre lui au Congrès ?

Des abis de constitutionnalistes seraient les bienvenus pour m'éclaircir sur ces points.