2.3.06

DADVSI 2.0

Les amendements de la loi DADVSI annoncés par le ministre de la culture sont maintenant officiellement déposé, et consultables ici (et page suivante).

Ils ont été déposés le 27 février : il s’agit des amendements n°260 à 264.

Amendement n°260 :

Cet amendement demande aux FAI d’envoyer des messages de sensibilisation à leurs clients, les informant des dangers du piratage pour la création artistique.

En l’état, cet amendement ne dit pas grand-chose. Il s’agit de faire participer les FAI à la sensibilisation aux "dangers du piratage" (dangers définis selon le ministère).

Les FAI ayant depuis longtemps communiqué sur la possibilité de téléchargement pour vendre des abonnements et des débits de plus en plus élevés, il est amusant de constater que c’est à eux que va revenir l’obligation d’information.

Amendement n°261 :

Cet article remplace l’article précédemment proposé, qui prévoyait d’assimiler le contournement de mesures techniques de protection à de la contrefaçon et proposait donc 3 ans de prison et 300 000 € d’amende pour les contrevenants.

Comme l’indique bien l’exposé des motifs, il s’agit du concept de réponse graduée, qui donne une amende de 4ème classe aux utilisateurs de logiciels ou de moyen mis à disposition, et une amende de 3750 € au « hacker » qui réalise techniquement le contournement. Enfin celui qui met à disposition ce contournement et qui écope du maximum, à savoir 30 000 € et 6 mois de prison.

Cela risque de faire beaucoup d'amendes, au vu de l'utilisation actuelles des réseaux P2P...

Par contre, on ne peut se satisfaire de la fin de l’exposé des motifs, qui va à l’encontre d’une lecture permissive du § III de l’article L-335-3-1. En effet, ce § prévoit que :

« III. - Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins d'interopérabilité ou pour l'usage régulier des droits acquis sur l'œuvre. »

Sauf que l’interopérabilité ne peut être réalisée par un particulier, si on s’en tient à la lecture restrictive qu’en propose l’exposé des motifs, et que si un particulier parvient à contourner une mesure de protection pour des besoins d’interopérabilité (qui seront légions, dès que vous voudrez utiliser des produits DRMisés comme vous le faisiez jusqu'à présent), il ne pourra pas en faire légalement profiter d’autres utilisateurs. Dommage pour l’interopérabilité en général, qui est laissée aux professionnels. Cela présume également que l’interopérabilité sera bien réalisée par les fournisseurs de moyens de protection.

Amendement n°262 :

Idem n°261 pour les droits voisins. Remplace l’article 14 de la loi DADVSI précédemment proposé.

Amendement n°263 :

Cet amendement vise à instaurer une riposte graduée contre le téléchargement illégal d'oeuvres protégées, en créant une exception au délit de contrefaçon. Sont visés par une contravention de 1ère classe le téléchargement illégal d’une œuvre protégée et de 2ème classe pour la mise à disposition. Il est donc plus grave de télécharger que de mettre à disposition.

Qu’en penser ? Il n’est certes pas illégitime de condamner le téléchargement illégal.

Mais la question est posée de savoir comment sera réalisée la police des réseaux permettant de repérer les téléchargements illégaux, puis d’en repérer les auteurs. Des flics sur le Net ? Des mouchards dans tous les ordis ou dans les Mesures Techniques elles-mêmes ? Les risques pointés du doigts par certains concernant des utilisations illégales de ces moyens de surveillance sont réels. Qui est prêt à se faire surveiller chez lui pour son utilisation de son ordi ? Quelle légitimité des moyens de surveillance, quels contrôles de la pertinence de ces moyens ?

Cet amendement est malheureusement muet sur l’aspect pratique du contrôle et de la répression.

Amendement 264 :
Argument technique de renumérotation des articles.

Commentaires généraux :

Par rapport aux attentes des anti-DADVSI et par rapport à ce qu’a exprimé le ministre récemment, je ne peux que constater un certain décalage.

1°) Concernant la disproportion des peines, le compte semble y être. En créant une exception dans la répression de la contrefaçon pour traiter les personnes qui contourneraient des mesures de protection comme des contrevenants plutôt que comme des contrefacteurs, les nouveaux amendements vont dans le bon sens.

2°) Concernant les logiciels libres, rien dans les amendements du gouvernement ne me semble de nature à diminuer les craintes. En effet, rien n’est prévu pour expliciter les droits des utilisateurs de logiciels libres vis-à-vis des mesures techniques de protection. Le message n’est semble t’il pas passé, et le risque de voir de nombreux logiciels tomber sous le coup de la loi est grand. Par exemple, un ExactAudioCopy risque gros ! De même, comment les utilisateurs et développeurs de logiciels libres vont-ils pouvoir intégrer des mesures techniques visant à assurer l’interopérabilité, tout en conservant le principe fondamental du libre qui est un code source ouvert ? Mystère. Il me semble que les amendements ne répondent en rien à ces questions, et que les craintes des développeurs et des utilisateurs de se voir infliger des amendes (ou même de la prison) sont fondées.

3°)Concernant la copie privée, on en reste avec ces amendements au texte proposé initialement, dont je copie un extrait de l’article 8 ici :

« Les titulaires de droits ont la faculté de prendre des mesures permettant de limiter le nombre de copies. »

Ce qui constitue quoi qu’en dise le ministre une restriction par rapport à l’usage actuel, qui ne limite en aucun cas le nombre de copies légalement réalisables.

4°) Enfin, concernant l’interopérabilité, on a vu que les amendements du gouvernement autorisent à contourner les mesures techniques dans un souci d’interopérabilité, mais il est également clair que cette faculté est réservée aux professionnels de la distribution. Les informaticiens amateurs ne pourront pas bricoler des moyens d’interopérabilité, et encore moins les diffuser. On en reste là aussi au texte initial ainsi qu’à l’amendement 253.

Ce qui signifie les mesures techniques ne doivent pas empêcher l’interopérabilité. Et que si c’était néanmoins le cas, seul le conseil de la concurrence serait en droit d’exiger l’accès aux informations permettant d’assurer l’interopérabilité.

Mais il n’y a pas dans ces dispositions d’obligation d’interopérabilité entre différents systèmes. En clair, rien n’interdit dans ce texte de vendre des fichiers lisibles uniquement par un type de lecteur, puisque le lecteur fait partie des « conditions d'utilisation d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme ».

Il semble pourtant à certains que la base de l’interopérabilité est justement de pouvoir lire un fichier dans n’importe quel format sur le lecteur de son choix !. Mais comme la notion d’interopérabilité n’est pas définie dans le texte, ce genre de débat reste ouvert.

Pour élargir le débat, ces amendements ne remettent pas en cause ce qui choque beaucoup de monde, à savoir la légalisation des mesures techniques de protection (MTP).

Ainsi, il sera donc illégal de chercher à contourner une MTP, même si on veut lire un CD sur son autoradio de voiture ou sur son PC, quand cela n'est pas prévu par la MTP incorporée au support (cf. CD Coldplay récemment). L'idée semble que le marchée va réguler tout cela et que seuls les CD qui ne seront pas embêtants pour les utilisateurs se vendront, ce qui délimitera rapidement ce que que peuvent faire les distributeurs de CD. Mouais...

De même, il sera illégal de chercher à modifier le format des oeuvres téléchargées légalement pour les lire sur des supports différents que celui pour lequel elles sont prévues : qui pourra obtenir avec le texte proposé qu'une plateforme de téléchargement légal fournisse des fichiers dans n'importe quel format ? Personne. Qui pourra empêcher l'utilisation de formats proporiéaires incompatibles avec du matériel d'un autre diffuseur ? Personne. L'interopérabilité a bon dos, sur ce coup.

Le texte prévoit en outre toujours une juridiction d'exception, à savoir le Collège des médiateurs, pour traiter des conflits concernant l'utilisation des MTP. Pourquoi une telle juridiction ?

Et pour finir, le texte ne prévoit pas de dispositif de type licence globale.

En conclusion :

Je persiste à penser que ce texte, même révisé, contient des dispositions qui vont à l’encontre des pratiques habituelles de millions de personnes, et qui visent avant tout à protéger les intérêts des distributeurs que celui des créateurs.

D'autre part, je continue à penser que s'opposer à la diffusion la plus grande possible d'oeuvres est en opposition totale avec la volonté affichée par l'exposé des motifs de la loi DADVSI de "trouver les voies permettant de favoriser une diffusion plus large de la culture tout en préservant les droits des créateurs." Un dispositif de type licence globale permettrait de faire tout aussi bien en matière de droits touchés (à la louche, 5 € / mois x 10 000 000 de connexions x 12 mois = 600 000 000 € par an pour les auteurs et les droits voisins, à ajouter à la taxe sur les supports vierges !) et qui favoriserait drastiquement l'accès à la culture pour tous les internautes. Mais ce n'est pas la voie choisie par le gouvernement, qui préfère des MTP, du contrôle et de la répression.

Cela va donc coûter encore une fortune aux acheteurs de culture (on parle d'1% de surcoût), en faveur d'abord des ditributeurs et pas des auteurs, et au détriment des finances publiques pour aller traquer les délinquants sur le net.

Enfin, il me paraît évident qu'en matière de P2P, des techniques existent déjà pour empêcher de savoir ce qui sera téléchargé. L'échange de fichiers cryptés ou l'utilisation de tables de hachage réparties (comme Kad) permettront encore de télécharger des oeuvres protégées, sans pouvoir être inquiété (qui télécharge quoi, depuis où ?). La loi a déjà un temps de retard, et surtout est le reflet d'une vision marchande de la culture.