9.7.07

Travailler plus pour gagner plus, pour ceux qui le souhaitent ?

Tout le monde a en tête le slogan de Nicolas Sarkozy : "Travailler plus pour gagner plus".

Mais qui a encore en tête la seconde partie de ce slogan ?

Car Nicolas Sarkozy n'a pas répété son mantra sans y adjoindre régulièrement une subordonnée.

Un peu comme Rocard doit sans cesse rappeler qu'il n'a pas seulement dit que "la France ne peut accueillir toute la misère du monde", comme veulent le faire croire ses détracteurs et certains cyniques, mais qu'il a aussi rajouté "qu'elle doit savoir en prendre fidèlement sa part", Nicolas Sarkozy a dit autre chose que son seul "travailler plus pour gagner plus".

Ainsi, lors de son discours à Saint Quentin le 25 janvier 2007, il a affirmé :
"Je propose de supprimer les charges et les impôts sur les heures supplémentaires pour que ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus soient encouragés à le faire, sans que personne y soit obligé."
C'est ce qu'il disait déjà le 1er décembre 2006 devant les hotelliers :
"Mon programme, c’est de garantir à chacun la liberté du travail. Mon projet de société, c’est le libre choix. Si quelqu’un refuse de travailler plus de 35 heures, libre à lui. Cela est respectable. Mais il est profondément injuste que ceux qui souhaitent travailler plus pour gagner plus ne puissent le faire."
C'est ce qu'il assénait à Périgueux le 12 octobre 2006 :
"Je propose que les heures supplémentaires soient exonérées de toutes charges salariales et de tout impôt pour que ceux qui veulent travailler davantage pour gagner plus puissent le faire. C’est la liberté de travailler plus pour gagner plus ou de travailler moins pour gagner moins."
C'est ce qu'il promettait le 18 décembre 2006 aux personnels médicaux :
"Qui pourrait refuser à nos infirmières, à nos aides soignantes qui font un travail extraordinaire et tellement difficile de travailler plus pour gagner plus si elles le souhaitent ?"
On le voit, le "travailler plus pour gagner plus" est indissociable dans le programme de Sarkozy de "pour ceux qui le souhaitent".

Pourtant, certains avaient noté très tôt dans la campagne, comme Jean-Luc Mélenchon pour le PS, que le salarié n'est pas libre de choisir de travailler plus. Le code du travail prévoit en effet la subordination du salarié à son employeur et le fait de refuser des heures supplémentaires est une faute grave, susceptible de licenciement.

Cependant, dans le Projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, nulle mention de la liberté de choix des travailleurs.

Mme Billard, députée verte, s'en est émue. Bien que dans l'opposition, elle a donc proposé un amendement disposant que "le refus du salarié d’effectuer des heures supplémentaires à l’initiative de son employeur ne peut être considéré comme une faute ou un motif de licenciement".

Cette disposition, dans l'exact ligne de la proposition de Nicolas Sarkozy, aurait donc du être logiquement inscrite dans le nouveau texte, afin d'en préciser la portée.

Las ! M. Tian, rapporteur de la Commission de des affaires culturelles, familiales et sociales, n'a pas jugé bon de conserver cet amendement et l'a donc refusé, se mettant ainsi en contradiction avec les promesses du Président Sarkozy.

Le projet de loi qui impose donc le "travailler plus pour gagner plus" oublie volontairement la suite de la promesse : "pour ceux qui le souhaitent".

Sans cette possibilité donnée aux salariés de refuser des heures supplémentaires, voilà le "travailler plus pour gagner plus" imposé à tous les salariés, qui devront, sous peine de perdre leur emploi, se plier aux exigences de leur employeur, tant que les limites des 220 heures supplémentaires annuelles et des 48 heures de travail hebdomadaire n'auront pas été franchies.

Il est encore temps de rappeler à M. Tian et aux députés UMP l'entière promesse de leur candidat élu.

"Travailler plus pour gagner plus", oui, mais seulement "pour ceux qui le souhaitent"...

[Mise à jour]
Ci-dessous l'extrait du débat à l'Assemblée sur ce thème :

M. Roland Muzeau – Notre amendement 142 vise à protéger le salarié qui refuserait d'exécuter les heures supplémentaires proposées par son employeur.

En effet, contrairement à ce que vous vous plaisez à laisser croire, les salariés ne sont pas libres de travailler plus ou moins, ils ne négocient pas d'égal à égal avec leur employeur leur temps de travail – ni leur salaire. Le thème du code du travail qui enserre et du contrat qui libère est développé pour accréditer l’idée de l'inutilité de la législation sociale, mais la liberté dont on parle tant n’est ici que pure fiction. Comme le souligne Philippe Waquet, « le contrat de travail est la seule convention qui établisse une relation de subordination entre les parties : le salarié doit obéir au patron ».

S'agissant des heures supplémentaires, la jurisprudence a confirmé que le refus sans motif valable – telles des obligations familiales dûment justifiées – de les accomplir pour effectuer un travail urgent constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, et même dans certains cas une faute grave. Si nous sommes d’accord pour qu'un salarié volontaire puisse effectuer ponctuellement des heures supplémentaires proposées par l’employeur, nous voulons que cela relève de son choix ; il nous paraît donc indispensable de préciser que son refus ne constitue pas une faute ni un motif de licenciement. Cette garantie ne nuirait en rien à votre dispositif.

M. le Rapporteur général – Avis défavorable. Cet amendement vise, lui aussi, à modifier le code du travail. Or le système actuel est équilibré : il faut donner à l’entreprise les moyens de faire face à des « coups de feu », d’où l’affirmation d’un principe qui est néanmoins, comme vous l’avez dit vous-même, atténué par la jurisprudence, laquelle reconnaît la validité de certains motifs de refus. On peut compter aussi sur le bon sens de la plupart des employeurs.

M. le Secrétaire d'État – Le législateur a donné aux partenaires sociaux la possibilité de négocier, par branche ou par entreprise, le contingent d’heures supplémentaires. Cela assure aux salariés une protection contre les demandes injustifiées des employeurs. Le Gouvernement est hostile à la remise en cause de ce système.

M. Alain Vidalies – Nous ne proposons pas la remise en cause d’un principe, mais l’instauration d’une protection minimale pour le salarié. Lorsqu’il s’agit de la liberté du chef d’entreprise, vous ne tolérez aucune limite, mais lorsqu’il s’agit de restreindre les droits des salariés – on le verra bientôt à propos du droit de grève –, vous êtes beaucoup plus empressés !

Nous proposons par notre amendement 271 d’appliquer aux heures supplémentaires les limitations qui existent déjà dans le code du travail pour les heures complémentaires. Qu’y a-t-il d’extravagant à demander qu’on respecte la vie privée du salarié, en l’informant suffisamment à l’avance du jour où il devra effectuer d’heures supplémentaires, et en acceptant comme motif de refus des obligations familiales impérieuses ou le suivi d’un enseignement ?

M. le Rapporteur général – Rejet, pour les raisons que je viens d’indiquer.

M. le Secrétaire d'État – Même position.

M. François de Rugy – Je voudrais apporter mon soutien à ces amendements ; Mme Billard en avait d’ailleurs déposé un dans le même sens. On parle beaucoup de liberté, mais il faut respecter celle du salarié qui ne souhaite pas faire d’heures supplémentaires ! Pensons à celui – souvent une femme – qui s’est organisé pour travailler quatre jours par semaine et qui, si on lui demande de travailler plus, sera obligé de payer quelqu’un pour garder ses enfants, et donc perdra du pouvoir d’achat au lieu d’en gagner !

M. Roland Muzeau – Je ne peux accepter la réponse de M. le secrétaire d’État : il ne s’agit pas ici de questions qui relèvent des négociations de branche, mais de la relation entre les salariés – qui ont droit à une vie personnelle – et leur employeur.

M. Francis Vercamer – Cette discussion m’étonne un peu : ceux qui aujourd’hui proposent de modifier le code du travail nous disaient il y a quelques mois qu’il ne fallait surtout pas y toucher sans passer par les partenaires sociaux…

M. Alain Vidalies – Proposez donc le retrait du projet !

M. le Rapporteur général – Quand on a réduit autoritairement le temps de travail en passant de 39 à 35 heures, on a en général provoqué une exacte compensation en heures supplémentaires, sans que celles-ci soient mieux rémunérées. A cette époque, nul n’a réclamé de modifier le code du travail. Pourquoi lancer ce débat à propos d’heures supplémentaires qui, elles, seront mieux rémunérées ? Un peu de cohérence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Michèle Delaunay – Ces derniers jours, nous avons entendu répéter comme une antienne que le Président Sarkozy tenait ses engagements. Or durant la campagne présidentielle, il a affirmé à maintes reprises qu’il voulait que celui qui souhaite travailler plus puisse le faire. La loi contredit totalement cet objectif, puisque rien n’est laissé à la liberté du travailleur – il ne peut choisir ni de ne pas faire d’heures supplémentaires, ni d’en faire. Cela seul devrait suffire à nous convaincre de voter cet amendement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).


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