10.3.09

HADOPI, le nouveau DADVSI

La loi DADVSI (Droits d’Auteurs et Droits Voisins dans la Société de l’Information) avait fait couler beaucoup d’encre en son temps.

Visant à pénaliser la contrefaçon sur internet, en particulier le téléchargement de musique et de films protégés par le droit d’auteur (et surtout les droits voisins), DADVSI avait entre autres créé l’AMRT, pénalisé le contournement des DRM et limité les exceptions pour copie privée.

Tout cela avait suscité une levée de boucliers, en particuliers des internautes qui criaient à l’incompréhension des pouvoirs publics sur l’utilisation du média internet et des tenants du logiciel libre qui craignaient pour leurs développements, faute d’interopérabilité avec les DRM.

Au final, tempête dans un verre d’eau : la loi DADVSI n’a pas été appliquée, et le rapport d’évaluation prévu dans cette loi n’est jamais sorti.

Entretemps, les parts de marché du CD, du cinéma et du DVD baissent ou stagnent (quand bien même l’ensemble du secteur se porte bien, si on inclut les jeux vidéos et les contenus pour téléphones mobiles, vendus par les mêmes groupes qui n’affichent pas de baisse des profits insurmontable…), et le grand méchant internet est pointé du doigt par les ayants-droits, qui crient à la mort de leur secteur par la faute des méchants pirates.

Le nouveau texte, téléguidé par les majors du disque, du cinéma et du DVD va donc revoir la copie DADVSI.

Plutôt que de pénaliser, ce qui est lourd, coûteux et assez inefficace en terme d’image et de lutte à grande échelle, l’idée est maintenant de faire peur aux internautes en les accusant de ne pas sécuriser leur accès et de permettre le piratage.

Rendre responsable le titulaire de l’accès internet : une façon de contourner le problème

C’est la grosse astuce de ce texte, qui est codifiée dans l’article 6 de la loi et l’article L 336-3 du code de la propriété intellectuelle (CPI) :

« Art. L. 336-3. – La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise.
Il s’agit donc de rendre le titulaire de l’accès responsable de l’utilisation qui en est faite, en particulier si son accès internet est utilisé pour télécharger illégalement des contenus protégés par le droit d’auteur.

S’il ne le fait pas, à quoi s’expose t’il, le pauvre titulaire ?

« Le fait, pour cette personne, de manquer à l’obligation définie au premier alinéa peut donner lieu à sanction, dans les conditions définies par l’article L. 331-25.
Allons lire l’article L. 331-25, qui est à l’article 2 de la loi :

« Art. L. 331-25. – Lorsqu’il est constaté que l’abonné a méconnu l’obligation définie à l’article L. 336-3 dans l’année suivant la réception d’une recommandation adressée par la commission de protection des droits et assortie d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d’envoi de cette recommandation et celle de sa réception par l’abonné, la commission peut, après une procédure contradictoire, prononcer, en fonction de la gravité des manquements et de l’usage de l’accès, la ou les sanctions suivantes…
Allons bon, çà se complique.

Le titulaire de l’accès, appelé ici abonné, risque des sanctions si sa connexion est utilisée pour télécharger illégalement pendant un an après une première notification.

De quoi s’agit-il ?

La procédure : usine à gaz et intimidation

C’est toujours l’article 2 de la loi qui nous renseigne.

« Art. L. 331-24. – Lorsqu’elle est saisie de faits constituant un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission de protection des droits peut envoyer à l’abonné, sous son timbre et pour son compte, par la voie électronique et par l’intermédiaire de la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ayant conclu un contrat avec l’abonné, une recommandation lui rappelant les prescriptions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de
respecter cette obligation et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement. La recommandation doit également contenir des informations portant sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites pour la création artistique.

La commission de protection des droits envoie donc un mail à l’abonné, lui signifiant que son accès a été utilisé pour télécharger illégalement.

Cet envoi constitue le top départ de la procédure : toute l’action qui suit se base sur la date d’envoi de ce mail.

Premier réel écueil de la loi : rien n’indique que l’abonné recevra le mail. Il peut très bien ne pas avoir d’adresse chez son FAI, ou ne jamais lire les mails qui arrivent à cette adresse. Mais peu importe, ce qui compte, c’est que le courrier est parti.

Que contient-il, ce courrier ?

Hé bien, pas grand-chose. Car le législateur prévoit que :
« Cette recommandation par voie électronique ne divulgue pas les contenus des éléments téléchargés ou mis à disposition.
L’abonné, s’il reçoit et lit le mail, ne sera donc pas informé de ce pourquoi il reçoit un tel courrier.

Qu’ai-je fait ? Que me reproche-t’on ? Que me vaut l’honneur d’un courrier de la CDP dépendant de l’HADOPI ? Mystère pour l’abonné.

Le message de la CDP est le suivant : on sait que tu as utilisé ton abonnement pour télécharger illégalement. Maintenant tu arrêtes. Si tu recommences, tu auras affaire à nous.

Dit comme çà, cela prend tout son sens : cela s’appelle de l’intimidation. Le gouvernement prévoit d’intimider 10000 internautes par jour de cette façon. A ce volume, et vu le caractère creux de la missive, on n’est pas loin de la définition du spam : communication électronique, non sollicitée par les destinataires, expédiée en masse à des fins publicitaires. S’agissant de faire la publicité d’un article de loi, la limite est floue pour qualifier ce genre d’envoi de masse.

Et que risque l’abonné, s’il ne s’est pas laissé intimider ?

« En cas de renouvellement, dans un délai de six mois à compter de l’envoi de la recommandation visée au premier alinéa, de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3, la commission peut adresser une nouvelle recommandation par la voie électronique, dans les conditions prévues au premier alinéa. Elle peut assortir cette recommandation d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d’envoi de cette recommandation et celle de sa réception par l’abonné.

L’abonné risque de recevoir un nouveau courrier. Par mail. Puisque la première fois, il n’a pas réagi, réutilisons la même méthode et la même voie pour passer le message. Ou alors une lettre recommandée. Qui ne garantit pas que l’abonné ira la chercher à son bureau de poste et en prendra connaissance, mais passons.

Puisque c’est la deuxième fois, et que la première fois n’a pas éclairé l’abonné, la deuxième fois sera la bonne, n’est-ce pas ?

Voyons çà :
« Cette lettre ne divulgue pas les contenus des éléments téléchargés ou mis à disposition.

Ah non ? L’abonné reçoit donc un courrier lui disant : on sait que tu as utilisé ton abonnement pour télécharger illégalement. C’est la deuxième fois qu’on t’y prend. Si tu recommences, tu auras de vrais problèmes.

Cà sonne toujours comme de l’intimidation. Effectivement, çà en est. Aucune accusation précise, aucun moyen de discuter, aucun moyen de se justifier. Tu arrêtes, on te dit, sinon… Le gouvernement prévoit d’intimider de la sorte 3000 internautes par jour.

Au cas où l’abonné se dirait que çà suffit de se faire intimider par une Commission inconnue, il peut contester ? Bien sûr que non, voyons !

« Le bien-fondé des recommandations adressées en vertu du présent article ne peut être contesté qu’à l’appui d’un recours dirigé contre une décision de sanction prononcée en application de l’article L. 331-25. La recommandation porte mention du numéro de téléphone ou de l’adresse postale ou électronique. L’abonné destinataire informé auparavant par courrier ou par voie électronique peut adresser des observations à la commission de protection des droits.
Seule une sanction peut être contestée. C'est-à-dire qu’il faudra attendre de subir les foudres de la CDP pour pouvoir enfin demander de quoi on est accusé et ce qu’on a fait pour mériter une sanction. Elle est pas belle la vie selon HADOPI ? Cette façon de faire porte le doux nom de « riposte graduée ». Elle aurait probablement du s’appeler « intimidation croissante », mais le nom avait du être déposé par l’armée américaine pour une opération de « maintien de l’ordre » en Afghanistan…

Les sanctions : l’éradication des gêneurs

On a compris que le but de l’envoi de courriers est d’intimider les pirates.

Après l’envoi du courrier AR, il est prévu une sanction si l’abonné réitère un téléchargement illégal :
… la ou les sanctions suivantes :
« 1° La suspension de l’accès au service pour une durée de d’un mois à un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur ;
« 1° bis En fonction de l’état de l’art, la limitation des services ou de l’accès à ces services, à condition que soit garantie la protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin ;
« 2° Une injonction de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la Haute Autorité, le cas échéant sous astreinte.
« La commission peut décider que la sanction mentionnée au 2° fera l’objet d’une insertion dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées.
« La commission notifie à l’abonné la sanction prise à son encontre et l’informe des
voies et délais de recours et, lorsque la sanction consiste en la suspension de l’accès au service, de son inscription au répertoire visé à l’article L. 331-31 et de l’impossibilité temporaire de souscrire pendant la période de suspension un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur.
« Les sanctions prises en application du présent article peuvent faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation par les parties en cause devant les juridictions judiciaires.
Globalement, il s’agit de punir l’abonné indélicat en le privant d’accès internet. La forme de cette privation d’internet est variable dans la durée.

Mais on voit l’idée fondamentale : priver les contrefacteurs du moyen de contrefaire.

Et tant pis si on les prive de tous les autres usages d’internet qui ne sont pas du téléchargement illégal. Un peu comme on priverait un chauffard de voiture ou un joueur de casino, n’est-ce pas ? Sauf qu’un téléchargement n’a jamais tué un cycliste… Même sous l’emprise de l’alcool, le téléchargement illégal reste sans danger pour la vie des personnes, au contraire du chauffard. Sauf qu’un abonné ne s’est jamais ruiné, lui et sa famille, en donnant son argent à un gérant de machines à sous.

Mais il a commis le crime immense de s’en prendre aux magnats de l’industrie du divertissement, qui essaient de faire croire que le téléchargement illégal est la source de tous les maux du secteur, quand la fin de vie du CD, l’évolution technologique du numérique, la crise mondiale et tant d’autres facteurs sont passés sous silence.

Le bon internaute est l’internaute sous verrou numérique

Fort heureusement, le législateur, dans son infinie bonté, a prévu des échappatoires pour les bons internautes.

Il sera possible de démontrer que son accès au net ne peut avoir servi à des fins aussi douteuses que télécharger la dernière œuvre majeure du grandissime Luc Besson.

Pour échapper à la coupure, les moyens suivants sont prévus :

« La responsabilité du titulaire de l’accès ne peut être retenue dans les cas suivants :
« 1° Si le titulaire de l’accès a mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 331-30 ;
« 2° Si l’atteinte aux droits visés au premier alinéa est le fait d’une personne qui a frauduleusement utilisé l’accès au service de communication au public en ligne, à moins que cette personne ne soit placée sous l’autorité ou la surveillance du titulaire de l’accès ;
« 3° En cas de force majeure.

Passons sur la force majeure. Rires assurés dans le prétoire quand un abonné expliquera la force majeure qui l’a contraint de télécharger Hulk contre Predator

Passons sur l’apport de la preuve que l’accès a été frauduleusement utilisé : bonne chance à un abonné pour le démontrer, lui qui n’a aucune idée comment fonctionne son matériel et qu’il a même interdiction d’ouvrir pour voir comment c’est fait dedans. Peu de chance de faire prospérer une défense sur ce thème, donc.

Le bon internaute, qui surveille son accès, est finalement celui qui met en œuvre un moyen de sécurisation. De quoi s’agit-il ?

« Art. L. 331-30. – Après consultation des parties intéressées ayant une expertise spécifique dans le développement et l’utilisation des moyens de sécurisation destinés à prévenir l’utilisation par une personne de l’accès à des services de communication au public en ligne, la Haute Autorité peut établir la liste des spécifications fonctionnelles pertinentes que ces moyens doivent présenter pour être considérés comme exonérant valablement le titulaire de l’accès de sa responsabilité au titre de
l’article L. 336-3.
« Au terme d’une procédure d’évaluation certifiée prenant en compte leur conformité aux spécifications visées au précédent alinéa et leur efficacité, la Haute Autorité peut labelliser les moyens de sécurisation dont la mise en œuvre exonère valablement le
titulaire de l’accès de sa responsabilité au titre de l’article L. 336-3.
Cette labellisation est périodiquement revue.

HADOPI pourra donc établir une liste de moyens de sécurisation (logiciels, probablement) qui, s’ils sont en marche au moment des faits reprochés, feront tomber l’accusation.

Le bon internaute est donc celui qui mettra en œuvre, de son propre fait bien entendu, les filtres qui lui seront vendus par son FAI, qu’il aura la liberté de ne pas utiliser s’il veut n’avoir aucune chance contre la CPD de HADOPI…

Elle est pas belle la vie, dans le pays des libertés individuelles ?

Conclusion en forme de conseil aux élus

Le texte HADOPI est une usine à gaz qui se trompe de cible et qui sera inefficace au regard du but poursuivi. Si elle est appliquée, cette usine à gaz ne fera qu’embêter 10000 personnes par jour, des personnes qui pour la très grande majorité ne font aucun mal à l’industrie du divertissement. Elles ne font que reproduire, avec les moyens technologiques d’aujourd’hui, ce que leurs grands frères faisaient avec des CD vierges et leurs parents avec des cassettes : ils échangent de la musique et des films qu’ils ont aimé pour les faire connaître autour d’eux. Ils participent en tant que vecteur culturel à la diffusion des œuvres et des idées, par le bouche à oreille prescripteur. Ils ne tirent aucun revenu de cette activité de conseil, si ce n’est le plaisir de partager leur expérience et leurs goûts.

Intimider les gens qui utilisent internet pour échanger de la musique et des films, c’est se tromper de cible. Ceux qui font perdre de l’argent à l’industrie, ce sont ceux qui font commerce d’œuvres contrefaites. Mais la loi HADOPI ne s’intéresse pas à eux. Car cette loi cherche à éduquer. Triste éducation que celle du coup de règle sur les doigts. La baisse du nombre de fichiers téléchargés sera au bout d’une telle logique ? Peut-être. Cela sauvera l’industrie du CD, du DVD et du cinéma ? Sûrement pas.

Mais puisqu’on vous dit qu’internet a besoin d’être repris en main face à une éducation libertaire à refaire !

Curieux discours que celui chargeant internet de tous les maux, quand il n’est qu’un outil de plus au service de la diffusion des idées, des savoirs et de la culture…
Curieuse façon de légiférer que de considérer les abonnés à internet comme des présumés coupables, qui devront se soumettre à une surveillance ou un filtrage pour justifier qu'ils n'ont pas commis quelquechose qu'on ne leur dit pas...
Curieux pays que la France d'après...

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