8.9.06

Connivences entre pouvoir et médias

Plusieurs fois depuis cette dernière semaine, François Bayrou, président de l'UDF et candidat UDF à la présidentielle, s'est ému des connivences existants entre les dirigeants des grands groupes de presse français et l'un des candidats, par ailleurs ministre de la République.

Si on peut ne pas suivre M. Bayrou sur sa thèse de la conspiration des médias visant à imposer le duel Sarko-Royal comme une évidence, et ainsi escamoter tout débat autre que celui de savoir lequel de ces deux là choisir, il est très intéressant que les relations entre médias et pouvoir soient ainsi mises en avant dans le débat présidentiel.

Le fait que la presse française soit concentrée dans les mains de quelques-uns (Lagardère, Dassaut, Rotschild, Bouygues, Wendel, Pinaut...), constituant les principales fortunes françaises, pourrait laisser penser que la liberté des médias est assez limitée. D'une part, par le respect que doivent les journalistes à leur patron, d'autre part, par le fait que la presse vit presque exclusivement de recettes publicitaires, provenant pour beaucoup de ceux qui possèdent les titres de presse. L'expression libre est donc possiblement très restreinte.

Mais par ailleurs, ces personnes sont, à un degré ou un autre, des personnalités proches des milieux politiques, particulièrement de l'UMP. Le candidat de ce parti ne cache d'ailleurs pas ses amitiés au sein de ces familles de riches entrepreneurs.

La question soulevée par M. Bayrou pourrait donc avoir un sens.

Elle est d'ailleurs à rapprocher de ce qu'Etienne Chouard écrivait au moment du non-débat sur le Traité instituant une Constitution pour l'Europe (caractères mis en gras par mes soins) :

Il faut considérer ces outils médiatiques comme des institutions qui nous protègent. En effet, sans eux, nous sommes divisés, donc affaiblis.

Laisser acheter et vendre les médias comme des marchandises, c'est les exposer à l'accumulation, à la concentration et, progressivement, à la confiscation par les plus riches.

La "liberté" actuelle des journalistes qui sont salariés d'entreprises privées, dont l'intérêt privé passe évidemment avant l'intérêt général, est une mystification, une liberté de façade évidemment entravée par le lien de subordination.

Ce n'est sûrement pas au marché d'organiser ces médias politiquement formateurs, c'est à l'État de le faire et à lui seul.

[...]

En fait, on devrait probablement interdire à toute entreprise de contrôler un grand média d’information : les citoyens devraient mettre leurs médias hors marché.

De plus, l’indépendance financière de tous les médias par rapport à la publicité devrait être garantie par l’État : nous, citoyens conscients de l’importance de l’enjeu au niveau de l’information, au moins aussi stratégique que la santé, devrions prendre en charge, avec nos impôts, les frais que les médias ne peuvent pas assumer avec le prix de vente au numéro. Par rapport au budget de l’État, c’est une goutte d’eau, et par contre, l’enjeu est vital, pour la démocratie et surtout pour éviter la guerre.

Cette prise en charge permettrait d’interdire la publicité et de libérer ainsi les médias de la tenaille de l’audimat.

Par ailleurs, l'État devrait se porter garant du pluralisme et de l’ouverture des médias à tous les citoyens parce que personne d'autre ne peut le faire à sa place. La Constitution devrait imposer que soit réservée gratuitement aux associations de citoyens :
· soit une part de la grille de chaque média, (bonne formule),
· soit une part des espaces, fréquences hertziennes et canaux satellitaires…

Quelle belle idée pour la démocratie que d’ainsi garantir nous-mêmes que les idées pourront être largement diffusées sans barrage financier insurmontable. Ce n’est pas une utopie, ça se passe effectivement en ce moment au Venezuela, laboratoire démocratique passionnant.

Le droit d’expression est un des meilleurs moyens de lutter contre la violence, souvent issue de frustrations et d’isolement.
Cette façon de faire exister des médias citoyens permettrait sans doute d'éviter les suspicions évoquées par M. Bayrou.