12.3.09

Hommage aux députés de l'opposition : discours préliminaires sur la loi HADOPI

Pour le plaisir de lire des argumentations fondées et des réfutations organisées.

Merci à Patrick Bloche et à Christian Paul.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme vous le savez sans doute, dans les séries américaines – qui sont d’ailleurs, nous dit-on, les œuvres télévisuelles les plus téléchargées –, les « saisons » se succèdent. À cet égard, le débat parlementaire que nous commençons aujourd’hui s’apparente à la « saison 2 » d’un mauvais feuilleton dont la « saison 1 » a été la discussion, en 2005 et 2006, de la funeste loi dite DADVSI.
Il s’agissait alors de donner une sécurité juridique aux mesures techniques de protection, qui étaient, à cette époque, la solution à tout, le Graal du Gouvernement en la matière. Votre prédécesseur, madame la ministre, faisait ici même, non sans quelque grandiloquence, le pari que nos millions de concitoyens internautes allaient, une fois sa loi votée, migrer massivement vers les offres commerciales de téléchargement. Trois ans plus tard, force est de constater que le pari de M. Donnedieu de Vabres a été perdu : les éditeurs abandonnent, les uns après les autres, les fameuses DRM, et les internautes n’ont pas modifié leurs usages de l’Internet, tout particulièrement dans leurs moyens d’accès aux œuvres de l’esprit. Craignez, madame la ministre, qu’il en soit de même aujourd’hui et que ce nouveau projet de loi soit d’ores et déjà un pari perdu d’avance.
Pourquoi est-il, selon nous, perdu d’avance ? Pour trois raisons au moins, qui constituent autant d’inconvénients majeurs.
On ne fait jamais de bonne loi en organisant la confrontation entre nos concitoyens, en l’occurrence, avec ce texte, en opposant les créateurs aux internautes, c’est-à-dire les artistes et leur public. Le droit d’auteur, ce n’est pas cela. Historiquement, et c’est la raison pour laquelle les socialistes y sont viscéralement attachés, le droit d’auteur a été conçu pour défendre les auteurs, les artistes, contre les abus des éditeurs et des producteurs, en un mot les petits contre les gros. C’est donc à un véritable détournement du droit d’auteur que nous assistons, pour la seconde fois, après la loi dite DADVSI.
Ce texte, pour notre groupe, est inutile à plusieurs titres : il est d’ores et déjà dépassé. Ainsi, il vise à réprimer le téléchargement et l’échange de fichiers au moment même où le streaming est en plein essor. Il est coûteux – d’ailleurs, qui va payer ? – ; il est inefficace, car contournable ; il est techniquement très difficile à mettre en œuvre ; il est risqué pour nos concitoyens, tant il comporte d’aléas et d’incertitudes juridiques.
Non seulement ce texte crée une usine à gaz sur le plan juridique – j’y reviendrai –, mais en plus, il passe totalement à côté des vrais enjeux, c’est-à-dire avant tout l’adaptation du droit d’auteur à l’ère numérique. Ainsi, il ne rapportera pas un euro de plus à la création.
La loi dite DADVSI a été un échec.
Mme Marland-Militello vient d’ailleurs de le confirmer. C’est la réalité de cet échec que vous auriez dû acter, madame la ministre, avant de nous proposer le présent projet de loi. Mais la vérité, c’est que vous n’avez pas osé lancer cette évaluation du dispositif, pourtant prévue par la loi dans les dix-huit mois suivant sa promulgation. Où est ce rapport ? Nous l’attendons encore.
À défaut, le Gouvernement a trouvé une nouvelle machine anti-téléchargement – qui s’enrayera comme la précédente –, s’appuyant cette fois, pour justifier le bien-fondé de sa démarche, sur les accords de l’Élysée.
Il n’est naturellement pas possible pour nous de cautionner la manière dont ont été signés, le 23 novembre 2007, ces accords que vous nous présentez encore aujourd’hui comme « historiques ». Le chef de l’État s’était alors bruyamment félicité du large consensus auquel il prétendait être parvenu. Et puis, patatras, quelques temps plus tard, le patron de la maison mère de Free, Xavier Niel, avouait avoir signé ce jour-là « une feuille blanche », remettant au passage en cause le contenu même des accords. Entre ceux qui ont signé une feuille blanche et ceux qui, comme les associations de consommateurs et d’internautes, n’ont tout simplement pas été invités, le consensus était effectivement facile à trouver. S’en enorgueillir encore aujourd’hui nous semble bien mal à propos.
Mais là où ce projet de loi est réellement décalé, c’est qu’il s’attache uniquement à la question du téléchargement. Or, nous savons bien que ce n’est déjà plus la vraie question. Aujourd’hui, le streaming commence à supplanter le téléchargement et, dans quelques mois, avec la diversification des terminaux, le téléchargement ne sera plus le mode le plus répandu pour avoir accès aux contenus. Les usages évoluent, le marché des ventes en ligne se développe. Avec la multiplication de plates-formes de type Deezer, la notion de captation de fichier est de moins en moins prégnante.
De plus en plus, y compris pour la VOD, nous basculons d’un système de stockage vers un système de flux.
À nouveau, vous avez un temps de retard, qui sera d’autant plus accentué que ce projet de loi ne pourra techniquement être mis en œuvre dès qu’il sera voté. Tous les opérateurs s’accordent à dire que, dans la majorité des cas, il ne sera pas possible de couper l’abonnement Internet sans interrompre en même temps la connexion au téléphone et à la télévision de ceux qui ont choisi une offre triple play.
Selon l’ARCEP, ce sont trois millions de foyers qui se trouveront ainsi concernés. Les plus gros opérateurs pensent pouvoir surmonter ces obstacles techniques en y consacrant plusieurs millions d’euros et ce, tenez-vous bien, dans un délai de deux ans minimum.
Au moment où la loi sera techniquement applicable, la question sera plus que jamais ailleurs.
Nous nous interrogeons, en conséquence, sur le fait de savoir qui prendra en charge les coûts d’investissement nécessaires à l’adaptation des réseaux aux exigences de la loi.
Le récent rapport du Conseil général des technologies de l’information, organisme dépendant de Bercy, estime ainsi que les coûts globaux de mise en œuvre s’élèveront pour les FAI à « un montant minimal » de 70 millions d’euros sur trois ans. Orange parle de 13 millions d’euros pour son seul réseau.
Qu’en sera-t-il des capacités de financement des opérateurs les plus modestes ? Votre absence de réponse, madame la ministre, à la question de savoir si ces coûts seront ou non pris en charge par l’État – ou par les FAI ? par les consommateurs ? – nous interpelle.
Plus grave encore, ce texte passe totalement sous silence la principale question qui nous préoccupe, et à laquelle vous feignez de répondre par ce seul projet de loi, je veux parler de la rémunération des auteurs. Il y a trois ans, on nous certifiait que le simple fait d’adopter la loi dite DADVSI allait mettre fin aux téléchargements illégaux, et que, de fait, tous les internautes allaient massivement basculer vers les offres légales, et qu’il était en soi totalement inutile de prévoir une rémunération nouvelle pour les créateurs.
Trois ans après, force est de constater que les effets escomptés ne se sont pas produits et que les auteurs, pendant tout ce temps-là, n’ont pas touché de rémunération complémentaire.
Nous avions, à l’époque, proposé de redistribuer aux créateurs de contenus une part, que nous estimions plus que légitime, des revenus de ceux qui possèdent les tuyaux. Nous avions alors reçu une fin de non-recevoir. Il fallait, nous disait-on, laisser à un nouveau modèle économique le temps de se développer. Il était donc inutile d’aller plus loin. L’ironie de l’histoire, madame la ministre, c’est que vous avez récemment préféré créer une taxe pour financer le manque à gagner publicitaire de France Télévisions, plutôt que de rémunérer la création. Et les fournisseurs d’accès à Internet, comme les opérateurs de télécoms, ne passeront pas une seconde fois à la caisse.
On pourrait se dire que l’expérience permet de progresser, d’évaluer et d’éviter de répéter inlassablement les mêmes erreurs. Mais non, vous restez arc-boutée, madame la ministre, sur une vision faussée d’Internet, et notamment en partant du postulat que ce sont principalement les jeunes qui seraient amenés à échanger des fichiers, mus qu’ils seraient par un désir irrépressible et absolu de gratuité. Étonnante vision que celle-là !
Je voudrais, à cet égard, relever un évident paradoxe. Vous pourfendez, avec le Président de la République, la gratuité sur Internet, assimilée à du vol. Mais parallèlement, les deux mesures phares en direction des jeunes qui ont été annoncées très médiatiquement par Nicolas Sarkozy en début d’année, et qui concernent précisément vos attributions ministérielles, visent justement à instaurer de la gratuité : la première autorise pour les jeunes un accès gratuit aux musées, et la seconde octroie pendant un an aux jeunes de dix-huit ans un abonnement gratuit à un journal quotidien.
En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas des idéologues de la gratuité. Au contraire, nous sommes en quête de nouveaux modes de financement de la création.
Car, à nouveau aujourd’hui, trois ans après le pari perdu de la loi dite DADVSI, le Gouvernement ignore totalement toute approche alternative qui pourrait être fondée sur la reconnaissance des échanges non lucratifs entre individus en contrepartie du paiement d’une contribution forfaitaire par les abonnés au haut débit.
Toute proposition qui pourrait amener une rémunération nouvelle des créateurs, un financement supplémentaire, précieux pour la production des œuvres, est d’emblée balayée d’un revers de main par le Gouvernement, qui n’a d’ailleurs jamais commandé ne serait-ce qu’une seule étude sur le sujet.
Si nous proposons, par un amendement, la création d’une contribution créative, c’est avant tout pour ouvrir ici même le débat. Le souci premier de notre groupe reste bien de savoir comment financer la création à l’ère numérique.
Abordant à présent la question des principes fondamentaux du droit, je dirai que le projet de loi est, de notre point de vue, tout simplement irrecevable. Comment, malgré les nombreux avis concordants dont il a été destinataire, le Gouvernement peut-il se présenter aujourd’hui devant la représentation nationale avec un texte qui n’est qu’un meccano hasardeux, et dont les dispositions sont contraires aux droits garantis tant par la Constitution que par la convention européenne des droits de l’homme ?
Tout d’abord, nous ne pouvons que nous inquiéter que la prise de sanction, telle la suspension d’un abonnement à Internet, soit confiée à une autorité indépendante. La compétence exclusive du juge pour toute mesure visant la protection ou la restriction de libertés individuelles est pourtant un principe rappelé à maintes reprises par le Conseil constitutionnel. Les mesures entraînant une restriction de la liberté individuelle de se connecter à Internet, outil de plus en plus indispensable à la vie quotidienne de chacun, sont suffisamment sensibles pour être prises par le juge et non par une autorité administrative. Si le législateur peut confier à une telle autorité, dans le cadre de prérogatives de puissance publique, un pouvoir d’infliger des sanctions, c’est à la condition que celles-ci soient exclusives de toute privation de liberté.
Dans le cadre de la révision du Paquet Télécom au Parlement européen, les discussions de l’automne dernier ont débouché sur l’adoption, par 573 voix contre 74, de l’amendement n° 138, présenté par Guy Bono et Daniel Cohn-Bendit.
Cet amendement visait à ce qu'aucune restriction des droits fondamentaux et des libertés des utilisateurs de services de communication au public en ligne ne puisse être imposée sans une décision préalable de l'autorité judiciaire. Son vote massif n'a fait que confirmer la nécessité de respecter le principe constitutionnel précédemment évoqué.
D’ailleurs, vous le savez parfaitement bien, madame la ministre, car tout en ayant déclaré officiellement que la portée de cet amendement n’était pas « suffisante pour remettre en cause notre démarche », vous n'avez pas ménagé votre peine, avec le Président de la République, pour tenter de réduire à néant cet amendement, en profitant de la présidence française de l'Union européenne à ce moment-là. Si la Commission n'a pas obtempéré, c'est du Conseil des ministres européens qu'est venu votre salut. Salut du reste très précaire, dans la mesure où l'amendement n° 138 vient de devenir l'amendement n° 46, tout juste réintroduit par Catherine Trautmann, rapporteure du Paquet Télécom en deuxième lecture, et qui, faut-il le rappeler, madame la ministre, vous a précédée rue de Valois.
Outre cet amendement qui vous dérange tant, la Commission européenne reste très réticente à l'idée de laisser à un organe administratif un tel pouvoir de suspension, soulignant très justement que « la réalité de l'utilisation actuelle d'Internet dépasse largement l'accès aux contenus ». En effet, la Commission vous a rappelé, comme nous le faisons aujourd'hui, qu'un nombre grandissant de services au public est fourni par Internet, moyen qui se substitue de plus en plus aux canaux traditionnels de communication.
Je vous invite à lire ou à relire la résolution du Parlement européen, adoptée par 586 voix contre 36, le 10 avril 2008, sur les industries culturelles en Europe. Cette résolution met en avant deux principes intéressants. Tout d'abord, les députés européens ont souligné que « la criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution pour combattre le piratage numérique ». Le Parlement européen a également engagé « la Commission et les États membres à éviter l'adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l'homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d'efficacité et d'effet dissuasif, telles que l'interruption de l'accès à Internet ». Jusqu'à quand le Gouvernement va-t-il faire comme si ces recommandations européennes n'existaient pas ?
La suspension de l'abonnement constitue une sanction disproportionnée. Cette appréciation est visiblement partagée jusque dans les rangs de la majorité, comme en témoigne l’adoption en commission d'un amendement visant à ce que la sanction de suspension relève de l'unique autorité judiciaire saisie par la commission de protection des droits, ainsi que d'un amendement remplaçant la procédure de la suspension par une amende.
Face à l’expression de ces doutes, vous avez, madame la ministre, lors de votre audition en commission, affirmé avec quelque légèreté qu'il ne s'agissait absolument pas d'une atteinte aux libertés, dans la mesure où l'internaute dont l'abonnement aura été suspendu aura toujours la possibilité de se rendre chez des voisins ou de la famille pour se connecter à Internet.
Certains y ont même vu une suggestion de contournement de votre propre loi.
Le texte pose donc des questions essentielles, notamment en ce qui concerne le non-respect des principes fondamentaux du droit. Nous contestons, vous l'avez compris, le caractère disproportionné de la sanction encourue par les internautes, encore aggravé par le fait que ces derniers ne pourront bénéficier des garanties procédurales habituelles. En effet, l'absence de procédure contradictoire, le défaut de prise en compte de la présomption d'innocence et du principe de l'imputabilité, ainsi que la possibilité de cumuler sanction administrative et sanction pénale sont, pour notre groupe, autant d'éléments d'irrecevabilité.
En matière de présomption d'innocence, tout d'abord, le fait que le titulaire de l'accès soit présumé responsable pose un réel problème. Le choix du Gouvernement de faire peser la charge de la preuve sur l'internaute et de la combiner à l'absence de possibilité de recours pour le titulaire de l'accès ignore tout simplement les droits de la défense. Dès lors, nous nous interrogeons sur ce qui se passera en cas d'erreur de transmission ou d'erreur dans la saisine initiale par les organismes de représentation des ayants droit. Le projet de loi ne dit pas comment la Haute autorité sera en mesure d'éviter les erreurs matérielles dans la gestion de l'envoi de recommandations, en particulier lorsque sera utilisée une procédure d'envoi systématique.
Le recours ne sera possible qu'après la suspension de l'abonnement à Internet – rien avant ! –, et il ne sera pas lui-même suspensif. Une fois leur abonnement indûment coupé, nos concitoyens devront attendre, nul ne sait combien de temps, que l'autorité judiciaire qu'ils auront alors pu saisir, constate la commission d'une erreur. Comme ils n'auront pu contester aux étapes précédentes, la sanction s'appliquera avant même qu'ils aient la possibilité de faire valoir leur bonne foi, en supposant, ce qui est loin d'être évident, qu'ils puissent le faire.
Dans notre droit, les décisions au fond doivent exclusivement s'appuyer sur des éléments de preuve sur lesquels les parties ont la possibilité de se faire entendre. Or, dans ce texte, les avertissements ou les recommandations ne sont pas de simples rappels de la loi ou d'innocentes mesures pédagogiques, comme vous essayez de nous le faire croire. Ils relèvent de la catégorie des actes administratifs qui vont produire des effets dans la sphère juridique des titulaires d'un accès à Internet. Le mail d'avertissement est en lui-même une étape qui conduit à la sanction future. Il devrait donc faire l'objet d'une contestation possible par l'internaute.
Aucun dispositif, ne serait-ce que d'accueil des internautes ainsi interpellés, n'est prévu pour répondre à leurs légitimes interrogations, demandes ou contestations. Il nous apparaît indispensable de créer au moins les conditions visant non seulement à la justification par la Haute autorité de son envoi, mais également à la possibilité de le contester. Cette demande est d'autant plus pertinente que, technologiquement parlant, le risque d’erreur est grand. D'autant que, si l'on se réfère aux chiffres que vous donnez vous-même, pas moins de 10 000 courriels de premier avertissement, 3 000 courriels ou lettres recommandées et 1 000 suspensions d'abonnements à Internet par jour ont été annoncés.
On ne compte plus les professionnels qui mettent en garde contre les obstacles techniques auxquels le dispositif prévu va se heurter. Comment va-t-on déterminer si l'internaute a ou non téléchargé illégalement ? Rien ne permettra de savoir si la personne qui se connecte par Wi-Fi sur la box d'un usager pour effectuer des téléchargements illégaux est un pirate extérieur ou l'usager lui-même ? Qui faudra-t-il croire ?
Quels seront les moyens de sécurisation prétendument absolue que l’Hadopi sera amenée à labelliser ? Sur quels critères le seront-ils ? Nous souhaiterions a minima que le secrétariat d'État à l'économie numérique publie une recommandation officielle sur la sécurisation des réseaux Wi-Fi. Quand, aujourd'hui, nombre d'entreprises emploient à plein-temps des experts pour sécuriser leur réseau sans obtenir malgré tout une sécurité totale, supposer que l'ensemble des particuliers y parviendra est absurde.
La recommandation de l'utilisation de pare-feu, visant à bloquer certains protocoles qui servent au piratage, ignore que ceux-ci sont utilisés pour bien d'autres services légaux, qui, de fait, ne seront plus accessibles. Une fois encore, le dispositif proposé apparaît aussi inefficace que disproportionné.
En ce qui concerne le téléchargement illégal via des réseaux publics, vous avez convenu, madame la ministre, lors de votre audition en commission, qu'il n'était pas prévu de suspendre les connexions Internet des collectivités territoriales et des entreprises, qui apprécieront sans doute ce traitement de faveur. Il reste qu'aucune précision de ce type n'apparaît dans le texte. Et comme les intentions n'ont pas force de loi, notre groupe a déposé un amendement qui, à ce stade de la discussion, nous le constatons avec regret, a été rejeté.
Vous nous avez également inquiétés, toujours lors de votre audition en commission, en proposant que les bornes Wi-Fi « ne permettent l'accès qu'à un nombre déterminé de sites », dont la liste « pourrait être établie en concertation avec toutes les parties – on se demande lesquelles –, de façon à ce qu'elles puissent permettre de répondre aux besoins de la vie quotidienne, sans qu'elles puissent servir de base de lancement du piratage, en quelque sorte ». En quelque sorte, comme vous dites, ce que vous proposez n'a pas grand sens. Qu'est-ce qu'un site qui répond ou non à un besoin de la vie quotidienne ? Comment établir une liste de tous les sites légaux mondiaux ? À vous entendre, on ne pourra plus accéder qu'à un Internet labellisé par une autorité officielle !
Sur un autre plan, le texte crée une réelle rupture d'égalité devant la loi en mettant en place, comme cela a déjà été évoqué, un double régime de sanction pour un même fait, en permettant la combinaison de poursuites pénales et de sanctions administratives.
Dans l'exposé des motifs, comme dans chacune de vos interventions sur ce texte, vous tentez, madame la ministre, de contourner l'inconstitutionnalité de cette mesure en présentant votre projet comme un dispositif « essentiellement pédagogique qui a vocation, en pratique, à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues par les internautes qui portent atteinte aux droits des créateurs ». Ces bonnes intentions ne sauraient masquer le fait qu'il s'agit bel et bien d'établir un double régime de sanction pour le même délit, avec la circonstance aggravante que le choix de requérir l'une ou l'autre, ou les deux, dépendra des seuls représentants des ayants droit, qui pourront en faire l'usage qu'ils voudront. Rien dans la loi ne s'oppose à ce qu'un procès en contrefaçon s'ajoute à la riposte dite graduée.
La CNIL s’en était d’ailleurs déjà émue. C’est la raison pour laquelle un de nos amendements propose tout simplement d’abroger les dispositions de la loi dite DADVSI.
Des ruptures d'égalité, il y en a lors de toutes les phases d'action de l'HADOPI. D'abord, entre les internautes selon que le fournisseur d'accès aura la capacité technique ou non de suspendre un abonnement.
Une autre rupture d'égalité réside dans le choix de la sanction par l'HADOPI, tant le texte laisse, en la matière, un champ très large à son pouvoir d'appréciation. L'internaute pourra ainsi recevoir un premier mail de recommandation, puis un deuxième mail qui pourra être assorti d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen prouvant sa réception par l'abonné. Une fois ce second mail reçu, l'HADOPI pourra choisir, à discrétion, entre une sanction de suspension de la connexion Internet assortie d'une interdiction de souscrire un autre abonnement ou une procédure d'injonction dont la définition est, une fois de plus, particulièrement floue puisqu'elle vise à obliger l'internaute à « prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la Haute autorité, le cas échéant sous astreinte ».
S’agissant de cette injonction, nous nous interrogeons, comme le souligne d'ailleurs le rapport de la commission des lois, sur « les délais au terme desquels l'absence de mise en œuvre des mesures de nature à éviter le renouvellement d'un manquement sera considérée comme une inexécution de la transaction ». Là encore, rien n'est spécifié dans le projet de loi. L'arbitraire régnera ainsi à toutes les étapes décisionnelles de l'HADOPI. Le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens nécessite, au minimum, de fixer un délai qui s'appliquera à tous.
Il en est de même pour la procédure dite de conciliation : celle-ci peut être proposée ou pas à un internaute passible de sanction, sans cadre défini. Pourquoi ouvrir la possibilité d'une transaction à l'un et pas à l'autre ? Nous ne le savons pas.
Inégalité entre les internautes toujours en fonction de leur abonnement. Car, cerise sur le gâteau et spécificité notable de ce texte qui, vous en conviendrez avec moi, innove, il est explicitement prévu qu'une fois l'accès suspendu, l'internaute devra continuer à s'acquitter du prix de son abonnement. Il sera donc contraint par la loi de payer pour un service dont il ne bénéficie plus !
De la double peine créée par la possibilité de cumuler une sanction administrative et une sanction pénale, nous passons avec cette sanction financière à une triple peine. Et comme tous les abonnements ne sont pas régis par un tarif unique, le coût financier de cette sanction ne sera pas le même.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit la création d’un traitement automatisé des données à caractère personnel qui permettra la mise en œuvre des mécanismes d’avertissement, de transaction et de sanction. Ce traitement permettra notamment de répertorier les personnes faisant l’objet d’une suspension de leur abonnement, ce qui les empêchera de conclure tout nouveau contrat avec un fournisseur d’accès.
À nouveau, rien n’est précisé quant à la durée de conservation de telles données personnelles. Nous considérons comme une évidence que cette durée ne doit pas excéder la période pendant laquelle l’abonné fait l’objet d’une mesure de la part de l’HADOPI. Or il est laissé à un décret en Conseil d’État le soin de fixer ce délai de conservation. Nous nous inquiétons d’autant plus que le délai suggéré – trois ans selon le rapporteur de la commission des lois – est largement excessif au regard des délais de suspension prévus, qui sont d’un mois à un an.
Il est nécessaire de rappeler les prescriptions de la loi Informatique et libertés qui soumettent la mise en œuvre des traitements de données à caractère personnel au respect d’une condition : « Les données sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées. » Par conséquent, ces données personnelles devraient être détruites dès la fin de la procédure liant un abonné à l’HADOPI. Si tel n’était pas le cas, des personnes pourraient continuer à se voir interdire la conclusion d’un nouveau contrat avec un fournisseur d’accès, alors même qu’elles ne feraient plus l’objet d’aucune mesure de la part de l’HADOPI.
Je souhaite, avant de conclure, alerter notre assemblée sur l’isolement de notre pays dans ce dossier. Le Gouvernement veut nous faire croire qu’il existerait une solution française que le monde nous envie. Madame la ministre, vous avez fait référence, en commission, aux baisses de téléchargements obtenues en Nouvelle-Zélande avec la riposte graduée. Mal vous en a pris ! La mise en œuvre de ce système était fixée au 28 février et a finalement été suspendue par le Premier ministre néozélandais.
Vous nous avez aussi fait part de l’intérêt que portaient les autorités allemandes à ce projet. Je vous accorde que Mme Brigitte Zypries, ministre de la justice allemande, s’y intéresse. Mais je crains que ce ne soit avant tout pour s’en inquiéter. Je vous laisse juge et je vais citer ses propos : « Je ne pense pas que la riposte graduée soit un schéma applicable à l'Allemagne ou même à l'Europe. Empêcher quelqu'un d'accéder à Internet me semble une sanction complètement déraisonnable. Ce serait hautement problématique d'un point de vue à la fois constitutionnel et politique. Je suis sûre qu'une fois que les premières déconnections se produiront en France, nous entendrons le tollé jusqu'à Berlin. »
En Angleterre, le 26 janvier dernier, David Lammy, ministre ayant en charge la propriété intellectuelle, excluait de légiférer sur un système à la française qu'il nomme : « Trois coups et vous êtes éjecté ! »
Désolé, madame la ministre, le monde n'attend rien de vous et surtout de votre projet de loi ! Le moins que l'on puisse dire c'est que ce texte n'est en rien avant-gardiste.
C’est plutôt une bataille de retardement. C'est une nouvelle ligne Maginot qui est édifiée.
Comme avec la loi DADVSI, il s'agit, une nouvelle fois, de gagner du temps. Cette constance à retarder systématiquement les vraies échéances pénalise gravement le financement de la création dans notre pays, une création qui, déjà, souffre tant du désengagement de l'État.
Nous ne nous satisfaisons pas d'avoir eu raison il y a trois ans. Nous ne nous satisfaisons pas de devoir à nouveau nous opposer à un texte qui s'inscrit dans la droite ligne de la loi DADVSI. Nous ne nous satisfaisons pas de devoir, dans un an, peut-être deux, faire le même et triste constat : les artistes n'auront pas touché un euro de plus, le contribuable aura financé cette gabegie.
Vous ou votre successeur n'osera même pas faire le bilan d'une loi aussi inefficace qu'inutile.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à voter l’exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR

Inetrvention de Christian Paul :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous aimerions très sincèrement tourner la page obscure d’une époque où le Parlement n’est saisi de culture que pour surveiller et punir. Ce soir, pourtant, nous sommes invités à faire un choix de société, de civilisation, entre une culture numérique ouverte et cette fable archaïque qu’est la chasse aux pirates.
Le monde d’après s’invente aujourd’hui. Notre confrontation n’est pas une discussion de technophiles. Il n’y est pas simplement question de choix techniques, mais d’orientations plus fondamentales pour nos vies et pour la société que nous choisissons de bâtir. Il ne s’agit pas non plus de siffler la fin de la récréation – une récréation durant laquelle, selon les propagandes en vigueur, une génération de délinquants juvéniles aurait pillé sans scrupule la musique et le cinéma, comme des collégiens indélicats s’en seraient pris à l’étal du pâtissier ou aux rayons du libraire.
Nous ne sommes pas non plus ici pour graduer l’échelle des délits et des peines – comme vous l’avez fait il y a un instant, madame la ministre –, pour inventer des parades techniques toujours illusoires et toujours contournables, pour culpabiliser ou dénoncer, pour légiférer sans jamais rien régler. En vous écoutant tout à l’heure, j’éprouvais un étrange sentiment de malaise : j’avais l’impression que la place Vendôme, le ministère de la justice, s’était emparée du très beau ministère de la rue de Valois et y avait pris le pouvoir.
Non, madame la ministre, c’est un débat sur la société que nous voulons. Nous sommes à un tournant de l’histoire de la culture, pour écrire deux libertés – celle des artistes et celle du public – et pour les rendre mutuellement acceptables. Le débat que nous abordons ce soir est donc, j’ose le dire, le plus important débat de politique culturelle de cette législature.
Depuis plus d’une décennie, ceux qui gouvernent la culture font preuve d’un redoutable aveuglement. La plupart des immenses débats sur l’accès du plus grand nombre aux créations artistiques, ces débats qui remuèrent le ciel d’Avignon au temps de Jean Vilar, sont aujourd’hui taris. Les choix innovants de soutien à la création, aux artistes, à l’économie culturelle, qui ont permis depuis les années quatre-vingt de maintenir une capacité de production musicale et cinématographique, ne trouvent pas aujourd’hui de dignes successeurs. Il est profondément regrettable que, faute pour certains d’avoir compris que pour une ou deux générations, l’éternel combat pour la démocratie et la culture se jouait là, avec la révolution numérique, les nouveaux défis se réduisent à d’interminables controverses pour ou contre le téléchargement.
À cette fable déjà dépassée, nous opposons un récit qui nous paraît autrement plus fondateur : celui de la révolution numérique, qui transforme les conditions de la création. Artistes et producteurs le reconnaissent : elle transforme l’accès aux œuvres de l’esprit, devenu infiniment plus facile, et elle rend possible leur partage désintéressé et sans limites. Elle est l’occasion de conquérir de nouvelles libertés. Ce n’est pas la vulgaire aubaine du voleur de poules que décrivent jusqu’à la caricature les zélateurs de l’ordre ancien.
La révolution numérique transforme aussi les conditions de la diffusion des œuvres. C’est pourquoi nous souhaitons offrir au débat une nouvelle vision des droits d’auteur. Nous pensons en effet que nous les défendons mieux, en les adaptant, que ceux qui tentent de les figer, de les congeler dans le passé, au risque d’être les bâtisseurs naïfs d’un rempart de papier.
Nous ne vous laisserons pas dire qu’au Parlement ou ailleurs, le clivage séparerait ceux qui défendent les droits d’auteur et ceux qui les contestent ou les ignorent au profit d’une consommation sauvage et sans règles. En réalité, le débat sera entre ceux qui se réfugient dans une croisade moyenâgeuse pour le statu quo et ceux qui recherchent un nouvel équilibre des droits.
Là est notre différence. Les droits d’auteur ont survécu depuis deux siècles pour protéger les créateurs contre des intérêts concurrents qui les appauvrissaient, et souvent pour protéger le faible contre le fort. Leur raison d’être n’est pas d’opposer les artistes au public.
À l’âge numérique, des droits d’auteur protecteurs et rémunérateurs sont tout aussi indispensables qu’au xxe siècle – non pas tant contre le téléchargement que contre les positions dominantes des majors, des opérateurs de télécommunications ou des géants de l’industrie numérique. Il nous faut, comme Beaumarchais, préserver les créateurs du bénévolat et de la mendicité, plutôt que de défendre les rentes de nouveaux féodaux.
Il est dommage que M. Lefebvre soit déjà parti car j’aurais aimé lui dire que la révolution numérique nous oblige à imaginer une nouvelle exception culturelle, rendue possible par des rémunérations et des soutiens inédits à la création. La radio, la télévision, la vidéo n’ont tué ni le cinéma, ni la musique. À chaque étape, certes au prix d’adaptations radicales, la France a su envoyer un message positif et progressiste, plutôt que de nourrir d’improbables batailles d’arrière-garde.
De tout cela, il n’est malheureusement pas dit un mot dans la loi exclusivement répressive qui vient devant l’Assemblée nationale et qui divise tous les partis. Pourtant, l’urgence est là. Nous allons donc nous efforcer durant ce débat de vous ouvrir les yeux sur les usages et les nouveaux modèles économiques.
Votre texte nous invite à passer à côté de la transformation de l’économie qui renouvelle radicalement la création, l’édition, la diffusion et l’usage de la musique, du cinéma et, demain, des textes.
Avec les forfaits 3G illimités, avec la fibre optique à domicile, le haut débit quasiment partout, les objets nomades, la marche en avant des technologies se poursuit inexorablement. Elle ouvre, à domicile comme en mobilité, un champ immense de possibles. De nouvelles pratiques de consommation, de production et de diffusion des œuvres émergent. Leur apparition est provoquée moins par l’accroissement vertigineux des débits que par l’assimilation progressive par notre société des principes fondateurs de l’Internet et des possibilités qu’ils ouvrent.
Tous les appareils interconnectés par le « réseau des réseaux » y sont en effet fondamentalement égaux. Ils peuvent être diffuseurs autant que lecteurs de tous types d’informations et de contenus – y compris de contenus culturels. La copie, à coût nul, le partage et l’échange non lucratifs ont pris une place grandissante dans nos vies quotidiennes.
Nous avons la chance fabuleuse d’être les témoins et, pour beaucoup d’entre nous, les acteurs de plus en plus nombreux d’une grande mutation dans notre rapport à l’information et à la culture. Nos petits-enfants trouveront probablement saugrenu, pour ne pas dire archéologique, que nous ayons eu à nous déplacer en magasin pour acheter un CD ou un DVD, afin d’écouter une chanson ou de visionner un film. Peut-être trouveront-ils également bien étrange l’idée qu’il leur aurait été interdit en ce temps-là – le nôtre – d’échantillonner, de mélanger, de modifier, de proposer leur version des œuvres constitutives de leur culture ou des logiciels qu’ils utilisent dans leur vie quotidienne numérique. Cela rappellera un temps où nous étions des consommateurs très passifs, voire captifs, de culture et d’information. Ce temps paraîtra tellement figé et inconfortable !
C’est vrai, la musique cherche son futur. Les années récentes ont vu l’émergence et la cohabitation des nouveaux modèles : vente sur les plates-formes, iTunes en particulier, abonnements, sites gratuits de streaming financés par la publicité. La quasi-totalité des contenus musicaux sont aujourd’hui, légalement – au sens où vous l’entendez, madame la ministre – ou non, pour la plupart disponibles en ligne. Sous une forme souvent peu attrayante, en des copies de qualité aléatoire disponibles sur les réseaux peer to peer, ou via des offres innovantes, le plus souvent acquittées au forfait, qui séduisent peu à peu les Français. Pour ma part, j’aime fréquenter Jiwa, un site commercial gratuit, où l’on peut trouver des millions de titres en écoute libre, comme sur Deezer, cher à Patrick Bloche, ou musicMe, qu’affectionne Didier Mathus (Sourires).
Le site de Jiwa n’est pas pourchassé par les majors, il est même permis de penser que celles-ci l’ont inspiré et nourri. On gagnerait d’ailleurs à savoir comment, sur ce site comme sur les autres sites de streaming, sont rétribués équitablement les artistes. Ce site me permet d’écouter des albums entiers, sans limite, sans même avoir besoin de les télécharger. J’y ai découvert ainsi, au fil du temps, les artistes Camille ou Rokia Traoré. Comme j’en ai fait la confidence à Mme la ministre, j’y ai même écouté, gratuitement et en streaming, le dernier album de Carla Bruni ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
C’est dire, madame la ministre, à quel point la vraie vie est loin du protectionnisme de votre texte, devenu furieusement ringard. Mais puisque vous aimez parler de pédagogie, pouvez-vous me dire comment expliquer à un adolescent de quinze ans que, s’il peut écouter toute la musique du monde en streaming sans être inquiété, en revanche télécharger et partager les mêmes titres, même s’ils sont infiniment moins nombreux, est illégal et menace la connexion Internet de toute la famille ? Pour qu’une loi ait une valeur pédagogique, il faut qu’elle soit crédible et juste ! Votre loi, elle, fait déjà partie de la longue traîne des lois aveugles.
Par ailleurs, je veux rappeler à nos collègues de l’UMP que la pédagogie exige un minimum de vertu.
Peut-être l’UMP a-t-elle confondu téléchargement et contrefaçon, toujours est-il qu’elle s’est rendue coupable de contrefaçon en diffusant, sans autorisation, une chanson du groupe de rock MGMT lors de ses congrès.
Plus grave encore, l’interprétation du titre lors du meeting ne nécessitait pas l’autorisation de ce groupe, mais l’enregistrement du meeting et sa diffusion sur Internet l’exigeaient. C’est une première faute.
Deuxième faute, monsieur Riester : introduire la chanson sur un support vidéo diffusé sans autorisation peut être sanctionné, pour contrefaçon, de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende dans la législation actuelle. Législation que vous n’entendez pas abolir : c’est écrit dans votre rapport.
M. Xavier Bertrand s’est contenté de dire qu’il allait proposer un euro symbolique à MGMT. C’est ce qu’on appelle sans doute, à l’UMP, la responsabilisation et la reconnaissance pour les artistes.
J’en reviens, madame la ministre, à mon propos.
Je voudrais maintenant faire un voyage de quelques instants dans le cimetière des idées fausses, très nombreuses dans ce texte.
Les orientations que vous défendez exigent de notre part un réquisitoire global, argumenté et implacable. C’est une incroyable saga, avec tous ses rebondissements, que Patrick Bloche a résumée comme un feuilleton. Reconnaissez-le, vous aussi, la controverse traverse tous les partis. À cet égard, je salue la constance, depuis trois ans, de quelques mousquetaires de la majorité, qui sont restés fidèles à leurs convictions, malgré les pressions de M. Copé.
Les derniers jours ont amené l’extraordinaire coming out du rapporteur de la loi DADVSI, M. Vanneste, désormais adversaire irréductible de vos choix, et la vibrante dénonciation de Jacques Attali, qui avait d’ailleurs dénoncé ce texte dans son rapport, dont le Président de la République avait pourtant dit à l’époque : « Je prends tout le rapport Attali », y compris la critique de votre croisade anti-pirates. Les derniers jours nous ont encore amenés au plaidoyer très efficace de l’UFC-Que Choisir – je vous invite à le lire –ou au travail d’expertise citoyenne exceptionnel de la Quadrature du Net, porte-parole de millions d’internautes, et qu’on ne saurait mépriser et résumer, comme l’a fait un de vos conseillers auprès de l’AFP, à « cinq gus dans un garage ». J’ai pensé que c’était là la marque de mépris d’un cabinet ministériel – nous avons l’habitude. Mais vous-même avez évoqué ces millions de « parasites » – je crois que c’était votre terme – qui téléchargent.
Ce sont là des symptômes : il n’y a aucun consensus, ni en France ni en Europe, autour de ce texte. Il y a au contraire un rejet massif, de multiples origines.
Et puis s’est déployé un débat normal, passionnant, au sein des groupes parlementaires – y compris le nôtre –, parfois partagés, au sein des partis politiques. Faut-il s’en plaindre ? En tout cas, le mien a tranché, enfin, et dans la bonne direction. J’en suis fier.
M. Lefebvre, s’il était là, pourrait voir, sur la dépêche de l’AFP qui résumait hier soir notre position, comment le parti socialiste, avec Martine Aubry, vous reproche d’opposer le droit d’auteur à la protection de la vie privée des internautes. Le parti socialiste rappelait encore hier soir que ce texte ne rapportera pas un euro de plus à la création artistique et que c’était un pari perdu d’avance. Vous vouliez une position claire : vous l’avez !
Première idée fausse : la loi DADVSI de 2006 garderait toutes ses vertus. Eh bien non ! Madame la ministre, il faut avoir le courage du devoir d’inventaire, il faut faire haut et fort le constat d’échec de la loi DADVSI. Or ce sont les mêmes, dans cet hémicycle et dans l’industrie culturelle, qui ont conçu cette loi mort-née, qui veulent aujourd’hui nous imposer la loi abusivement appelée « Internet et création ».
Une évaluation sincère s’imposerait. Elle serait brève et peu coûteuse. L’autorité créée à l’époque ne s’est jamais réunie. Elle n’a pas travaillé. Pendant des années, cette question a été laissée à l’abandon. Les rapporteurs ne sont même pas d’accord d’entre eux. M. Riester, qui a disparu, un intermittent du banc peut-être (Protestations sur les bancs du groupe UMP)…
Madame la ministre, la loi DADVSI est un fiasco législatif qui témoigne de l’impuissance publique – c’était d’ailleurs le titre prémonitoire, il y a vingt ans, d’un livre de Denis Olivennes – à appréhender les défis contemporains.
La loi DADVSI est inappliquée et inapplicable, se reposant sur la magie des DRM et proposant comme réponse miracle le mirage des plateformes de vente au morceau en ligne et défendant, comme vous le faites aujourd’hui, la sanction disproportionnée plutôt que l’innovation. Voilà pourquoi la loi DADVSI doit être abrogée. Nous avons déposé un amendement en ce sens.
Deuxième idée fausse : le faux consensus de l’Élysée devrait servir de rampe de lancement au présent texte. Les sociétés d’auteurs et les FAI se sont mis d’accord sur la « riposte graduée », pas sur une meilleure rémunération des artistes. S’y opposent ceux qui n’étaient pas conviés autour de la table, dont le tiers état des consommateurs et des citoyens. Mais aussi les artistes-interprètes qui n’étaient pas là. S’en démarquent plusieurs qui l’avaient signé sous intimidation, craignant les représailles – ils nous l’ont confessé. S’en distingue aussi M. Kosciusko-Morizet, au nom de 180 entreprises de l’Internet – il l’a déclaré hier.
Un accord interprofessionnel de cette nature peut-il à lui seul faire la loi au nom de l’intérêt général, en particulier pour régir les rapports avec le public ?
Troisième idée fausse : le téléchargement serait responsable de tous les malheurs de l’industrie culturelle en crise. Ce serait le bouc émissaire parfait. Henri Poincaré disait : « On fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison. »
Il est pratique de faire du téléchargement le bouc émissaire de la crise de la culture. Alors que le pouvoir d’achat des Français a fortement baissé depuis 2002, alors que les nouveaux moyens de communication, la téléphonie mobile en particulier, ou plus simplement le loyer ou le carburant grèvent une part sans cesse croissante du budget de nos concitoyens, nous sommes aujourd’hui sommés de voir dans le seul téléchargement le responsable de tous les maux de l’industrie du disque. C’est un peu court, pour ne pas dire choquant.
Depuis 2005, je demande, avec Patrick Bloche et mes collègues du groupe socialiste, qu’une mission d’information parlementaire dresse enfin un panorama plus juste et équilibré que celui brossé à grands traits dans des études commandées par quelques lobbies. Sans ce nécessaire travail préparatoire, nous ne construisons pas la nouvelle cité numérique où les auteurs et les artistes pourront se voir conférer de nouveaux droits.
Tant de causes expliquent en effet la crise de la musique : déclin du CD amorcé au début des années 2000, marketing des industries culturelles qui ne doivent s’en prendre qu’à elles-mêmes…
Quatrième idée fausse : la gratuité de l’accès rendrait la rémunération de l’artiste impossible. C’est un de vos leitmotiv, la gratuité c’est le vol. Non, madame la ministre, dans ce nouveau monde, la gratuité n’est pas le vol. Si elle n’est pas encore la règle, elle n’est plus l’exception. Le paiement sera-t-il un jour une relique du passé ? L’accès à la culture contre paiement est-il un modèle dépassé ? C’est ce débat-là que nous devrions avoir. Même si de nouvelles pratiques n’éradiquent jamais totalement les plus anciennes, ces questions méritent d’être posées et le constat d’une très large gratuité de l’accès aux musiques et aux films peut être dressé.
La publicité, bien qu’évacuée de la télévision publique, a droit de cité sur les sites musicaux. De nouveaux éditeurs tentent de valoriser les œuvres et de créer des services autour de l’œuvre elle-même. J’ai évoqué tout à l’heure les sites de streaming. Dans une telle situation, imaginer rétablir l’ordre ancien de la rareté des copies par une loi répressive, c’est comme puiser l’eau avec un filet à papillon. Pirater et stocker des fichiers n’est même plus nécessaire. Oui, la création mérite une rémunération équitable, mais celle-ci emprunte aujourd’hui d’autres voies.
Cinquième idée fausse : cette loi permettrait de créer plus de valeur et de mieux rémunérer les artistes. Je le dis solennellement au nom du groupe socialiste : on vend aux artistes une grande illusion sécuritaire là où il faudrait imagination et courage. C’est pourtant ce que persistent à vouloir Nicolas Sarkozy et ses ministres, jamais avares de textes inapplicables, en rédigeant de nouvelles lois prétendant endiguer l’irrépressible.
Madame la ministre, vous défendez une loi de circonstance et de commande, comme pour l’audiovisuel public, la commande du prince qui, déjà en place au ministère de l’intérieur, tenait conclave avec quelques amis du show-business.
Les lobbies, eux, adorent retarder. Ils trouvent toujours pour cela, ici et là, des partisans actifs ou des complices naïfs.
Quant aux artistes, ils ont raison de taper du poing sur la table, car le monde ancien s’effondre. Faut-il pour autant que de mauvaises réponses leur soient servies comme autant de somnifères ?
Sixième idée fausse : la « riposte graduée » serait un dispositif indolore. La surveillance généralisée du net est, au contraire, une horreur juridique et une redoutable transgression. Mille motifs conduisent à rejeter cette loi abusivement baptisée « Internet et création » : surveillance généralisée du net, absence de recours et de procès équitable avant coupure, identification hasardeuse des « coupables ». Il est assez simple d’y voir l’amorce sans précédent d’une surveillance automatisée des échanges. Comme si l’hypersurveillance était notre horizon inévitable ! La CNIL a eu des mots très durs que nous rappellerons dans le débat.
À cela, et comme l’a dit Patrick Bloche, s’ajoute la triple peine. En effet, à la suspension de la connexion s’additionnent la poursuite du paiement de l’abonnement suspendu et la persistance des poursuites civiles ou pénales.
Septième idée fausse : la « riposte graduée » serait un dispositif applicable et sincère. Ce système de contrôle est-il fiable ou au moins praticable ? On a beaucoup parlé de la wifi du voisin. Je vous renvoie au constat d’huissier que vous pourrez trouver sur le site de l’UFC-Que Choisir. Me Eric Albou, huissier devant le tribunal de grande instance de Paris, qui va entrer dans l’histoire grâce au Journal officiel, a en effet procédé à des tests qui l’ont conduit à dire que n’importe qui peut télécharger depuis votre connexion wifi, y compris quand cette dernière est munie d’une sécurité.
Deuxième constat de cet huissier : les bornes wifi sont de véritables paradis pour télécharger anonymement. Certaines sont sécurisées mais elles sont très souvent libres. Il y en a 37 000 en France.
Vous avez inventé un concept extraordinaire pour prévenir le téléchargement anonyme sur les bornes wifi. Devant la commission des affaires culturelles, qui ne s’en est pas remise – c’est si vrai que son président n’est pas là aujourd’hui – vous avez dit envisager la création de « listes blanches » prétendant sélectionner les sites dignes de l’intérêt de ceux qui se connectent à l’Internet par des points d’accès publics !
Je le dis aux milliers d’internautes qui assistent à ce débat grâce à l’Internet, qui n’est pas encore totalement filtré. C’est un non-sens absolu, une architecture ubuesque que la plupart des États autocratiques sentent eux-mêmes, et heureusement, hors de portée.
Il y a donc une disproportion totale entre cette confiscation des libertés numériques et les buts que vous poursuivez.
Le catalogue des idées fausses pourrait s’arrêter là. Patrick Bloche a évoqué les réactions européennes, je voudrais pour ma part évoquer la propagande abondante qui s'est abattue sur nous depuis quelques semaines. Elle prend la forme d'incroyables sophismes comme celui-ci : « La création va mal – c’est vrai ; le téléchargement, c'est le mal – ce qui est moins vrai ; donc, combattre le piratage, c'est faire du bien à la culture. » J'y vois une forme de jdanovisme mondain qui renseigne surtout sur la pauvreté de l'inspiration actuelle de notre politique culturelle.
Mais venons-en à nos propositions. Le temps est venu d'écrire les nouveaux droits d'auteur de l'âge numérique. Par un grand débat ici, puis par un débat international, et non par un faux consensus forcé, fût-il dicté par l'Élysée.
Où se situent les vraies priorités ? Nul ne conteste la nécessité de règles. Mais tout indique qu'elles doivent régir en priorité les rapports économiques, que vous avez laissés à l'état de jungle, entre les auteurs, les artistes – dont les interprètes –, les producteurs, les éditeurs, les géants du commerce informationnel et des réseaux de communication. Là, plus que dans ce que vous nommez « piratage », se trouve le triangle des Bermudes qui engloutit les droits des créateurs, le respect dû aux œuvres de l'esprit et leur rémunération.
La bataille principale ne doit plus être livrée contre le piratage mais contre le contrôle des principaux canaux de diffusion de la musique, et demain du cinéma. Aujourd'hui, Apple a conquis la première place, presque monopolistique.
Il faut lever les blocages. Les créateurs et les artistes sont mal rémunérés dans les partages qui s'instaurent. Sur iTunes, près de 80 % des recettes vont au producteur et une petite minorité aux artistes ! La valorisation via l'offre commerciale ne décolle pas. En effet, les éditeurs peinent pour accéder aux catalogues à des prix décents, et le coût des bandes passantes facturé par les opérateurs de télécoms empêche les nouveaux modèles d’être rentables. Nombre d'artistes entreprennent d’ailleurs de se produire eux-mêmes pour échapper à ce qu'ils considèrent comme un racket.
Ainsi, pendant que l'on traque l'internaute qui partage des fichiers musicaux à des fins non lucratives, un monde mal régulé, celui des échanges culturels marchands, peine à rechercher un nouvel équilibre des droits.
Une nouvelle exception culturelle française est possible. Elle ne passe pas par une dérisoire « riposte graduée ». Ouvrons plutôt le chantier d'une contribution créative, dont les revenus manquent cruellement aux acteurs du monde de la culture et aux artistes.
Nous avons travaillé depuis quatre ans, et cette contribution créative n’est pas une version mise à jour de la licence globale. Il s’agit davantage de ce que les juristes nommeraient une licence collective étendue.
L'Internet doit financer la création, là est l’essentiel de la réponse ; comme la télévision a su financer le cinéma depuis les années quatre-vingt. Cela est possible en utilisant la taxe sur les opérateurs, votée ici même : il s’agissait d’une occasion historique, vous en avez fait un détournement de fonds, un racket d’État. Il y aussi les sommes importantes qui vont être engagées par le ministère de la culture pour mettre en place la haute autorité. Enfin, il y a encore les 60 millions d’euros que les FAI vont devoir débourser pour pourvoir à la mise en œuvre de cette loi indigne.
En mettant bout à bout ces trois ressources, l'on assurerait un financement de la musique bien au-delà des désordres actuels : trois cents à quatre cents millions d’euros par an me semblent un objectif raisonnable.
Nous voulons défendre ici l'une des plus belles idées de notre temps : l'idée de l'alliance libre de l'Internet et de la culture. Ce sera notre contribution positive pour échapper à ce cauchemar législatif et surtout pour préparer des temps meilleurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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