6.5.09

Le prêt de main d'oeuvre comme moyen de lutte contre le chômage ? Un nouveau recul social.

Suite à l'accord trouvé récemment entre une entreprise en difficulté et une autre en besoin de main d'oeuvre, le prêt de main d'oeuvre apparaît à certains députés UMP une bonne façon de lutter contre le chômage, en permettant à l'entreprise contractante de conserver ses salariés tout en les faisant travailler pour une entreprise tiers.

Avantages pour l'entreprise prêteuse : ne pas perdre ses salariés, qui restent SES salariés, bien qu'occupés dans une autre entreprise.

Avantages pour l'entreprise d'accueil : ne pas embaucher, disposer de salariés compétents le temps d'une mission.

Avantages pour le gouvernement : limiter la hausse du chômage, en temps de crise, en transférant des bras (et des cerveaux) d'entreprises en difficulté vers des entreprises en forme.

Avantages pour les caisses de solidarité : des économies de prestations tout en conservant des rentrées de cotisations.

Tout est beau donc, dans ce gagnant-gagnant ?

Bien sûr que non.

Car sans le dire trop fort, c'est tout un pan du droit du travail qui s'efface : le délit de marchandage et le prêt illicite de main d'oeuvre.

Le marchandage ?

Le Code du Travail nous éclaire :
Toute opération à but lucratif de fourniture de main d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail, ou marchandage, est interdite.
Deux éléments constitutifs, donc :
  • la rémunération avec profit d’une fourniture de main d’œuvre,
  • le fait pour le salarié concerné de ne pas bénéficier des avantages de l’entreprise ayant recours à cette fourniture.
Le prêt illicite de main d'oeuvre ?

Le Code du Travail, encore :
Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’œuvre est interdite dès lors qu’elle n ’est pas effectuée dans le cadre des dispositions du présent code, relatives au travail temporaire.
Les deux critères principaux sont :
  • le but lucratif de l’opération : prêt de main d’œuvre donnant lieu à facturation d’une marge.
  • son objet exclusif : le prêt de main d’œuvre « payant » hors du cadre légal du travail temporaire.
Note : il y a des exceptions, comme le mannequinat ou les sportifs.

Avec la proposition de loi de Jean-Frédéric POISSON, Jean-Paul ANCIAUX, Gérard CHERPION, Jean-Pierre DECOOL, Bernard GÉRARD, Jacques KOSSOWSKI, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER et Jean-Charles TAUGOURDEAU, une modification importante apparaîtrait :
« Il n’y a pas de but lucratif dans une opération de prêt de main-d’œuvre quand l’entreprise prêteuse n’en tire pas de bénéfice. »

Cette précision permettrait donc, en toute rigueur, à une entreprise de prêter ses salariés à une autre, sous réserve de ne facturer que ce qu'ils lui coûtent, sans prendre de marge. La proposition s'inspire directement de l'actualité et se veut une mesure exceptionnelle permettant de "lutter contre la crise".

Soit.

Mais ce n'est malheureusement pas ce qui est proposé.

Car la modification, presqu'anodine, du Code du Travail, ne prévoit aucune restriction, aucune limite, et sera donc d'application générale.

Toute entreprise, en tout temps, pourra proposer les services de ses salariés, qui lui sont subordonnés, à toute autre entreprise. Toute entreprise deviendra donc fournisseur de main d'oeuvre, en concurrence directe des agences d'intérim. A un moindre coût, de plus, puisqu'elles sont censées ne pas faire de marge, au contraire des agences d'intérim, qui se portent bien, merci pour elles.

Conditions actuelles pour éviter le délit de marchandage

Les conditions sont assez évidentes, mais pourtant difficiles à appliquer strictement. Un contrat d’assistance technique, un contrat de service ou de sous-traitance sont des occasions de prêt de main d'oeuvre illicite.

Pour éviter les problèmes, les critères suivants doivent être retenus :
  • La prestation fournie doit être bien déterminée,
  • Le personnel mis à disposition de l’entreprise utilisatrice doit être encadré et dirigé exclusivement par son employeur, le prestataire conserve une totale autonomie par rapport aux salariés de l’utilisateur pendant toute la durée de la prestation ou des travaux.
  • L’entreprise prestataire doit fournir le matériel de ses salariés.
  • La rémunération du prestataire doit être fixée au départ forfaitairement, en fonction de l’importance objective des travaux à réaliser sans être nécessairement proportionnelle u nombre de salariés utilisés ou au nombre d’heures effectuées,
  • Le risque de l’opération devant être assumé par le prestataire.

Et les salariés, dans tout çà ?


Les salariés, eux, n'auront pas grand mot à dire dans tout çà... Subordonnés à leur employeur, ils devront accepter d'aller travailler pour un autre, sous peine de faute.

Ils ne devront, en théorie, prendre leurs ordres que de leur employeur.
Ils ne devront, en théorie, pas subir de préjudice à ce transfert.

En pratique, ils seront contraints de choisir entre accepter le louage de leur bras ou de leur tête et le chômage. Vaste programme !

Conclusion

Sous le prétexte de "lutter contre la crise" et de limiter le nombre des chômeurs, des députés autorisent le début du contournement d'un pan entier du droit du travail.

Après le "travailler plus pour gagner plus", amputé de "pour ceux qui le souhaitent", ce sera maintenant "travailler en intérim sans gagner plus".

Epilogue

Côté employeurs, on se doute bien qu'il est illusoire de penser qu'une entreprise prêtera "à titre non lucratif" des salariés. C'est antinomique avec la fonction d'une entreprise. Même pour sauver ses compétences. Quel intérêt à placer ses bonshommes (et bonnes femmes) chez un autre si on n'en tire aucun profit ? On mettra la clef sous la porte si l'argent ne rentre pas ! Car la masse salariale n'est pas le seul poste de dépenses. Il faut aussi payer la main d'oeuvre "non directement productive" ainsi que les charges d'immobilisation, sans compter les remboursements d'emprunts et autres dépenses normales (électricité, téléphone, etc...)

Sans marge, pas de recouvrement des frais.
Sans marge, pas d'entreprise.
Sans marge, clef sous la porte.
Donc, pas de prêt à titre "non lucratif", sauf à définir que seul la marge nette est "à but lucratif"...

Cette proposition de loi est donc soit une absurdité économique, soit, comme tout le monde l'aura compris, un nouveau cheval de Troie pour la dérégulation (démembrement ?) du droit du travail.

C'est toujours aussi magique, la France d'après.

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