7.12.07

Travailler plus, encore et toujours plus, indépendamment de toute réalité économique

C'est ce que semblent souhaiter MM. Méhaignerie, Carrez, Lefebvre, Chartier et Gruny.

Ils ont en effet déposé une proposition de loi sur "l’organisation du temps de travail dans l’entreprise et en faveur du pouvoir d’achat".

Le pouvoir d'achat, encore lui, censé justifier toute décision à propos de l'organisation du travail.

Car comment lire dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi autre chose qu'une nouvelle charge contre les 35 heures et la durée légale du travail ?

Comment lire l'argumentation de ces élus comme autre chose qu'un aveuglement idéologique ?

I. L'exposé des motifs

Voyons plutôt.
Pour développer le pouvoir d’achat des ménages de manière pérenne, donc sans dégrader nos comptes publics, il est nécessaire de créer davantage de richesses donc de travailler plus. C’est pourquoi la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat a notamment prévu des mesures fiscales et sociales très puissantes pour inciter à la réalisation d’heures supplémentaires. Compte tenu de ces dispositions, les salariés réalisant des heures supplémentaires ou un travail additionnel comparable bénéficieront d’un revenu net très fortement accru puisque les revenus correspondants seront exonérés des 21,5 % de cotisations et contributions sociales supportées par les autres salaires et qu’ils seront, en outre, exonérés de l’impôt sur le revenu.
Relisons la première phrase.
Pour développer le pouvoir d’achat des ménages de manière pérenne, donc sans dégrader nos comptes publics, il est nécessaire de créer davantage de richesses donc de travailler plus.
Augmenter le pouvoir d'achat passe nécessairement par "travailler plus", on le savait depuis Sarkozy. Ce qui est fascinant, c'est ce DONC, en fin de phrase.

Dans l'esprit de nos députés UMP, créer de la richesse suppose nécessairement de travailler plus. D'où vient cette certitude, qui va à l'encontre des observations économiques les plus simples ? La richesse de la France ne cesse d'augmenter, depuis des dizaines d'années, alors que la durée du travail ne cesse de diminuer. Et cela est valable dans tous les pays. Il est donc FAUX de penser qu'il y a corrélation entre durée du travail et niveau de richesse. C'est une première erreur.

Relisons ensuite posément la troisième phrase.
Compte tenu de ces dispositions, les salariés réalisant des heures supplémentaires ou un travail additionnel comparable bénéficieront d’un revenu net très fortement accru puisque les revenus correspondants seront exonérés des 21,5 % de cotisations et contributions sociales supportées par les autres salaires et qu’ils seront, en outre, exonérés de l’impôt sur le revenu.
Deuxième erreur. Travailler plus augmente le salaire net, c'est un fait, puisque le salaire est corrélé à la durée de travail. Mais travailler plus n'augmente pas ce salaire net pour les raisons invoquées par nos mousquetaires du pouvoir d'achat. Au contraire, la vérité est exactement opposée à leur discours.

Ces députés veulent croire que c'est l'exonération des cotisations qui va augmenter le net. C'est FAUX. Le salaire net va augmenter du fait de l'augmentation du nombre d'heures travaillées. Les salariés ne vont pas toucher plus que ce qu'ils auraient touchés avant les pseudo réformes sur le pouvoir d'achat : la majoration pour heure supplémentaire reste à 25%.

Le salaire brut par contre, va fortement baisser, à cause des exonérations de cotisations. Ce qui signifie que plus les gens vont travailler, plus leur salaire brut va baisser. Or le salaire brut, c'est le salaire indirect, celui qu'on touche quand on est malade, ou au chômage ou à la retraite. Sans ce salaire indirect, on n'a plus rien quand on n'est plus salarié...

Mais continuons à lire cette prose :
Bien qu’extrêmement incitatives, ces dispositions ne peuvent pas encore produire partout leur plein effet. La loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat n’a, en effet, pas modifié les dispositions du droit du travail encadrant les conditions de réalisation des heures supplémentaires.

Or celles-ci posent des difficultés qui sont connues, telles l’impossibilité pour un salarié de décider à sa convenance d’effectuer des heures choisies ou l’existence de rigidités dans la mise en œuvre des dispositions relatives aux heures supplémentaires.
Il faut trouver des arguments pour justifier qu'on assouplisse encore le cadre de réglementation des heures supplémentaires. Pour cela, rien de tel qu'un gros mensonge.

Le salarié n' aurait pas la possibilité de décider à sa convenance d'effectuer des heures choisies ?

Quelle découverte !

C'est le contrat de travail qui subordonne le salarié au bon vouloir de son employeur. Seul l'employeur peut décider de le faire "travailler plus". Et d'ailleurs, si le salarié renâcle, il risque le licenciement...

Lors du débat sur la loi TEPA, Mme Billard, député Verts, avait levé ce lièvre et demandé au rapporteur, M. Tian, de permettre aux salariés de décider s'ils voulaient faire ou non des heures supplémentaires, ce qui allait dans le sens du "travailler plus pour gagner plus... POUR CEUX QUI LE SOUHAITENT", comme l'avait martelé le candidat Sarkozy.

Il est donc assez savoureux de découvrir qu'aujourd'hui la même droite souhaite que les salariés puissent demander des heures supplémentaires...

Continuons notre lecture :
Aussi la présente proposition de loi contient une mesure pragmatique, à même de répondre aux préoccupations des employeurs et aux attentes des salariés. Ciblée sur un thème précis aujourd’hui bien identifié grâce aux remontées du terrain, cette disposition, de nature expérimentale et temporaire, constitue un nouveau pas dans la voie de la réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise, au service d’une amélioration du pouvoir d’achat.

Elle vise en effet à répondre à une difficulté que rencontrent de très nombreux salariés et entreprises, désireux de recourir aux heures supplémentaires mais en pratique bloqués par le niveau du contingent d’heures supplémentaires applicable dans l’entreprise, fixé conventionnellement à un niveau inférieur au niveau du contingent établi par décret et ce, que l’entreprise soit ou non soumise par ailleurs à un régime de modulation du temps de travail.
Résumons : il existerait des entreprises dans lesquelles le nombre d'heures supplémentaires possibles serait inférieur aux 220 heures fixées par décret, ce qui empêche les gens de travailler plus alors même qu'ils le souhaiteraient.
L’article 3 de la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise a apporté une première réponse à cette difficulté en instituant, à l’article L. 212-6-1 du code du travail, un régime d’« heures choisies » pouvant être effectuées au-delà du contingent d’heures supplémentaires, à l’initiative du salarié et en accord avec l’employeur.

Plus de deux ans après l’entrée en vigueur de cette loi, force est de constater qu’elle n’a pu porter tous ses fruits. En effet, la mise en œuvre des heures choisies est subordonnée à la conclusion d’un accord collectif de branche ou d’entreprise : dans les faits, les accords de branche sont rares, mais concernent des secteurs importants (promotion-construction, tracteurs, métallurgie, assainissement et maintenance industrielle) ; de plus, les petites entreprises, souvent dépourvues de représentation syndicale pour négocier, se trouvent de ce fait dans l’impossibilité pratique de recourir aux heures choisies.
Ce qui est extraordinaire, c'est qu'on invoque ici une défaillance de la négociation pour passer par la loi, plutôt que de renforcer les possibilités de négociation, en particulier dans les petites entreprises.

D'autant plus que la loi qui a instauré l'obligation d'accord collectif est la loi 2005-296 qui a donc été votée par les mêmes députés, déjà présents dans l'hémicycle.


II. Critique de la pensée de cette droite du "travailler plus"

II.1 : Sur la nécessité de travailler plus

La création de richesse se fait essentiellement, non pas en travaillant plus à faire la même chose, mais en travaillant moins à faire la même chose ou en travaillant à faire autre chose.

Travailler moins pour faire la même chose, c'est un gain de productivité, qui permet une plus grande valeur ajoutée par unité produite.

Travailler pour faire autre chose, cela s'appelle innover et trouver des productions moins intenses en main d'oeuvre.

II.2 : Sur l'exonération des cotisations

C'est un des axes de la pensée de cette droite que de s'attaquer à la solidarité. Baisser les cotisations sociales est la meilleure manière de mettre la solidarité à genoux, quand les comptes de toutes ces caisses sont dans le rouge.

On oublie de dire aux salariés qui travailleront plus pour moins de salaire brut qu'ils auront à payer par ailleurs ces cotisations qui ne sont pas versées par leur salaire brut. Et qu'ils devront mettre la main à la poche pour des franchises médicales, pour travailler plus longtemps pour avoir une retraite moindre, qu'ils toucheront des indemnités chômage réduites et moins longtemps.

Quand en plus on exonère d'impôt sur le revenu ces heures supplémentaires, ce sont alors moins de marge de manoeuvre pour les caisses de l'Etat, pourtant "en faillite" selon le premier ministre ou aux "caisses vides" selon le président de la République. Moins de fonctionnaires, moins de justice, moins de profs, moins de santé...

II.3 : sur le blocage du nombre maximal d'heures sups

Cette argumentation est fétide. Ce ne sont pas les salariés qui fixent les heures supplémentaires qu'ils font, mais leur employeur. Si le nombre d'heures sups est trop faible, cela ne peut donc être que du fait de l'employeur, pas des salariés.

D'autre part, le nombre d'heures supplémentaires possibles n'est pas utilisé actuellement. La droite suppose que c'est parce que ces heures coûteraient trop cher. Peut-être est-ce plus simplement parce que les entreprises n'en ont pas besoin, du fait de carnets de commandes déjà remplis, à un niveau ne nécessitant pas plus d'heures supplémentaires ? Peut-être est aussi du au fait que de très nombreux salariés font déjà de nombreuses heures sups non rémunérées, qu'ils ne peuvent refuser face à la pression de l'employeur et faute de contrepouvoir salarié au sein des entreprises ?

Mais non, les carnets de commande débordent et les employeurs ne peuvent pas augmenter le contingent d'heures sups car des accords de branche limitent ce nombre. Simplissime. Mais FAUX.

III. Conclusion

Les salariés ne gagneront pas plus en étant obligé de travailler plus par des entrepreneurs qui payeront moins de cotisations. Penser qu'il suffit de baisser le coût du travail et permettre de faire beaucoup d'heures supplémentaires est une illusion. La France ne battra jamais les pays à bas coût de main d'oeuvre à ce jeu. Pourtant, ces députés de cette droite sont persuédés du contraire. Il est temps de leur faire comprendre qu'ils sont dans l'erreur.

La croissance se trouve dans de nouveaux gains de productivité, donc faire moins d'heures pour produire autant, et surtout dans l'innovation et l'émergence de nouvelles branches de l'économie à haute valeur ajoutée ou de nouveaux produits.

Mais ce qui est effarant, c'est qu'à lire l'argumentation proposée dans cet exposé des motifs, il est probable qu'ils sont complètement conscients de ce qu'ils font. Ils se moquent donc de leur électeurs, en prétendant vouloir leur bien (plus de pouvoir d'achat) alors qu'ils semblent plus préoccupés de vider les caisses de solidarité et d'augmenter les marges des employeurs.

Pour fonctionner, une politique de l'offre doit se fonder sur la croissance. Quand la croissance est là, on peut l'accompagner par une politique de l'offre visant à permettre d'offrir plus de services et de produits à un coût moindre, en se rattrapant du point de vue des caisses publiques sur le surplus de l'augmentation de croissance ainsi dégagée. Mais une politique d'offre ne crée pas de croissance ex nihilo. Ce n'est pas ainsi qu'on ira chercher 1% de croissance supplémentaire.

On va juste démanteler les protections sociales faute de cotisations et laisser des salariés qui n'ont pas le pouvoir de décider de leur temps de travail gagner plus de salaire net qu'ils devront dépenser dans des assurances privées pour se couvrir des accidents de la vie. L'augmentation de salaire net devrait donc être formidablement plus importante que celle permise par le "travailler plus" subi...

Si la vraie bataille est celle du pouvoir d'achat, alors il faut une politique basique de soutien de la demande couplée à des mécanismes visant à orienter l'épargne vers des investissements de recherche ou des entreprises dans des domaines porteurs de croissance (nouvelles technologies, économie de l'écologie...) pour soutenir directement le pouvoir d'achat et favoriser l'emploi. Ce qui remplira les caisses.

C'est une démarche très différente que celle proposée par cette droite au pouvoir.

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